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Commentaire d'arrêt : l'aboutissement de la saga Chronopost

Avant la réforme portant sur le droit des contrats du 10 février 2016, la notion de cause était une particularité du droit français. Aujourd'hui, cet élément a disparu des conditions de validité du contrat. Notamment la cause subjective présentée par l'arrêt Chronopost du 9 juillet 2002 : la contrepartie d'une obligation.

La saga Chronopost

Credit Photo : Unsplash Gemma Evans


La longue jurisprudence Chronopost

Cette jurisprudence n'est toutefois pas un arrêt unique, mais bien une longue construction jurisprudentielle de 14 ans, commencée en 1996, qui a abouti par sa consécration légale en 2016.

En l'espèce, la société Chronopost, spécialiste du transport rapide s'est engagé à accomplir la livraison sous 24 heures d'un pli contenant la réponse à une adjudication. Or il y a du retard et la société cliente perd l'occasion de remporter l'adjudication.

Le client a alors demandé la réparation de son préjudice devant le juge. Chronopost pour se défendre invoque la clause limitative de responsabilité, incluse dans le contrat.

Le transporteur qui manque à son obligation essentielle du contrat, peut-il s'exonérer de sa responsabilité sur le fondement d'une clause stipulée au contrat ? Une telle clause est-elle valable ?

Commence alors le périple judiciaire... le 30 juin 1993, un premier arrêt est rendu par la Cour d'appel de Rouen qui donne raison à Chronopost, qui ne pouvait voir sa responsabilité engagée qu'en ayant commis une faute lourde. Le retard de livraison n'en est pas une.

Il y eut alors un premier arrêt rendu par la Cour de cassation en chambre commerciale le 22 octobre 1996, où elle casse l'arrêt de la Cour d'appel, pour la renvoyer devant la Cour d'appel de Rouen. Chronopost se pourvoit en cassation contre l'arrêt qui suit. La Cour est de nouveau amenée à se prononcer sur l'affaire le 9 juillet 2002. Se suivent alors les nombreux arrêts qui posent pierre par pierre une jurisprudence solide :

- L'arrêt du 22 avril 2005 rendu par la chambre mixte.
- L'arrêt du 30 mai 2006 rendu par la chambre commerciale.
- L'arrêt du 13 juin 2006 rendu par la chambre commerciale.
- L'arrêt Faurecia du 29 juin 2010 rendu par la chambre commerciale.

Tout ceci pour aboutir à l'article 1170 nouveau du Code civil.


Ce qu'il faut retenir du périple de la jurisprudence Chronopost et de sa suite Faurecia

Tout d'abord, il est question de la validité d'une clause exonératoire de responsabilité portant sur une obligation essentielle du contrat.

La Cour en est venue a considéré que pour qu'une telle clause puisse être réputée non écrite, elle doit contredire la portée de l'obligation essentielle pour laquelle le débiteur a contracté. Elle vide alors de sa substance l'engagement pris par les parties.

Soit s'il a un manquement à son obligation de transport dans les 24h pour lequel le débiteur a souscrit le contrat, il devra indemniser la victime. Il ne sera pas en mesure d'invoquer la clause litigieuse. (Jurisprudence Chronopost) En d'autres cas, la clause limitative de responsabilité resterait valable.

Après il est question de ce manquement à une obligation essentielle comme constitutif d'une faute lourde.

La Cour affirme clairement que le manquement à une obligation ne peut constituer une faute lourde, mais une faute simple. Il importe peu que cette obligation ait été essentielle. Le caractère lourd d'une faute s'apprécie sur la gravité du comportement du débiteur.

Il est alors nécessaire pour celui qui se prévaut d'un préjudice de démontrer l'existence d'un comportement d'une extrême gravité qui ne se retrouve en général que dans le dol imputable au débiteur de l'obligation essentielle.

L'ensemble de cette jurisprudence a été reprise par la loi ensuite.


La consécration légale par l'ordonnance du 10 février 2016 à l'article 1170 du Code civil

L'article 1170 dispose que « toute clause qui prive de sa substance l'obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite ».


En premier lieu, il convient de remarquer que contrairement à la jurisprudence Chronopost, l'article évoque « toute clause ». Il ne se limite pas aux clauses limitatives de responsabilité.

Il a vocation à être appliqué à toute clause qui porterait atteinte à une obligation contractuelle essentielle. Telle qu'une clause de non-concurrence sans contrepartie, par exemple.


En second lieu, il faut évoquer les conditions d'application de cet article :

- L'existence d'une condition essentielle (pour laquelle les parties ont contracté, et l'absence de laquelle, il n'y aurait pas eu de contrat).

- La stipulation d'une clause qui viderait cette obligation de sa substance. Reste alors le souci de définir ce qu'est cette « substance ». En effet, dans la jurisprudence Chronopost, il était question de la cause. Mais aujourd'hui, elle a disparu du droit des contrats.

Cela reviendrait donc à l'idée de contenu de l'obligation, comme l'envisage le législateur. Donc, en quoi consiste la prestation convenue par les parties ?
Une telle interprétation restreint l'application de l'article 1170 qui se cantonnerait à ce que contient le contrat pour envisager la validité de la clause.

Alors que la jurisprudence Chronopost évoquait la « portée de l'obligation », soit la cause subjective. Pourquoi les parties ont-elles contracté ?
Les éléments extérieurs au contrat peuvent alors être pris en compte pour apprécier l'obligation essentielle du contrat.


La sanction de l'article 1170 est le réputé non-écrit de la clause litigieuse. Elle ne produit donc pas d'effet et disparaît du contrat.
De ce fait, aucune indemnisation n'est envisageable au-delà du plafond prévu, en cas de retard de livraison dans le cas d'un contrat de transport. Chronopost l'avait lui-même fixé à l'époque.
Sinon, il appartiendrait à la victime de démontrer la faute lourde commise par le transporteur lors de l'exécution de son obligation essentielle. Il ne doit pas se contenter de prouver son manquement, mais un comportement d'une particulière gravité. Soit un dol. (Jurisprudence Faurecia).


En conclusion

En somme, la jurisprudence Chronopost est aujourd'hui reprise par la loi, mais dans une application à la fois plus étendue (à toutes clauses abusives) et plus restreinte (selon ce qui permettra d'apprécier la substance vidée par la clause pour la sanctionner).

Enfin sur la réparation du préjudice : le transporteur demeure maître à bord quant au montant de l'indemnisation, tant qu'il s'abstient de commettre toute faute lourde dans l'exécution du contrat.


Sources : Légifrance, Cour de cassation


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