Propos introductifs
Afin de comprendre le sens et la portée de cette décision figurant parmi les grands arrêts de la jurisprudence administrative concernant plus exactement la notion de responsabilité de l’administration est tout d’abord utile de revenir sur le contexte dans lequel cette dernière fut rendue.
Il est en effet nécessaire de souligner le fait que pour le cas où un agent de l’administration commet une faute, et que cette faute cause à un administré un préjudice dont il se plaint, il est attendu de ce dernier de la réparer.
Ceci étant dit, il nous faut immédiatement préciser que le Conseil d’Etat, aussi bien que le Tribunal des conflits, sont intervenus, au gré de leurs décisions, et des cas d’espèces qu’ils ont eu à connaître, à l’effet de substituer à leur responsabilité personnelle, eu égard aux fautes de services commises pr ces derniers, la responsabilité de l’administration. Cette règle se comprend en ce sens où il apparaît difficile de faire peser sur le seul agent la responsabilité d’une faute commise, de bonne foi, à l’occasion du service. Cette règle s’inscrit par ailleurs dans le constat selon lequel les agents ne voudraient plus faire preuve d’initiative dès lors qu’ils sauraient être sous le coup, éventuel, de réparations parfois importantes, et donc réparer les erreurs commises sur le plan professionnel.
Au-delà même de ces premiers constats, il apparaît aussi nécessaire de rappeler que cette règle se comprend du point de vue de l’administré lui-même. Ce dernier, victime d’un dommage causé par un agent, doit pouvoir obtenir réparation de son préjudice en faisant une demande à l’administration et donc à l’employeur de l’agent concerné. Ce dernier est, du reste, dans l’immense majorité des cas, bien moins solvable que l’administration. Ce faisant, la réparation est simplifiée pour l’administré, victime d’un dommage. L’administration pourra toutefois possiblement se retourner contre l’agent concerné en mettant en place une action récursoire.
Cette règle se comprend facilement concernant l’hypothèse particulière des fautes professionnelles commises par un agent et qui résulte sur un dommage dont se plaint un administré.
- Cour administrative d'appel Douai, 21 juin 2018 - L'administration peut-elle être condamnée à réparer un dommage pour faute personnelle de son agent ?
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L’arrêt Demoiselle Mimeur : une situation particulière
À l’occasion de notre cas d’espèce ici jugé et rapporté par le Conseil d’Etat en date du 18 novembre 1949, il a été considéré par le juge administratif suprême qu’un administré est en mesure de demander à ce que le dommage dont il se plaint soit réparé par la puissance publique, même lorsqu’il s’agit de fautes personnelles commises par un agent. Peu importe alors que le préjudice dont se plaint l’administré victime trouve son fondement dans une faute personnelle de l’agent et une faute de service (au sens de la décision Anguet du Conseil d’Etat du 3 février 1911 et donc au sens du cumul des fautes), ou encore lorsque ce préjudice trouve son origine dans une unique faute qui comprend, intrinsèquement, les aspects non seulement d’une faute personnelle mais aussi d’une faute de service (cf. sur ce point la décision du Conseil d’État sur le cumul des responsabilités, résultant de la décision Époux Lemonnier du 26 juillet 1918).
- Conseil d'État, 26 juillet 1918, arrêt Époux Lemonnier - Une faute personnelle commise par un agent public dans l'exercice de ses fonctions peut-elle engager la responsabilité de l'administration ?
- Conseil d'État, 3 février 1911, arrêt Anguet (n 34922) - Le cumul de responsabilité en droit administratif
L’évolution de la jurisprudence, à cet égard, démontrera également que le juge administratif suprême a validé l’hypothèse selon laquelle la responsabilité de l’administration peut être recherchée dans le cadre d’une faute pourtant personnelle de l’agent, mais qui a été matériellement commise à l’occasion du service (cf. en ce sens la décision du Conseil d’Etat du 21 avril 1937, Dlle Quesnel).
Que faut-il finalement comprendre de cette décision Demoiselle Mimeur ?
Dans notre cas d’espèce ici jugé et rapporté par le Conseil d’Etat, la faute dont se plaint la victime, la demoiselle Mimeur, et qui a été commise par un agent, ne revêt pas la nature d’une faute de service conformément à la définition de cette notion. L’agent avait effectivement percuté la maison de la demanderesse avec un véhicule qui appartenait au service (il s’agissait en effet d’un véhicule militaire). Toutefois l’agent n’a pas respecté l’itinéraire qu’il devait suivre et a effectué un détour pour un motif personnel : rendre visite à sa famille.
En dépit de ces premières constatations, les juges en l’espèce ont décidé que la responsabilité de l’administration peut valablement être recherchée, ceci même pour le cas où la faute commise par l’agent était bel et bien personnelle, en ce sens particulier où celle n’était pas dépourvue de tout lien avec le service.
C’est ici que réside l’innovation de la jurisprudence du Conseil d’Etat en matière de responsabilité, et qui trouve aussi à s’appliquer à l’utilisation d’armes à feu par des agents. En ce sens, en effet, il a été reconnu à l’occasion d’une décision du Conseil d’Etay que la responsabilité de l’administration peut valablement être recherchée lorsqu’est survenu un accident mortel, même en dehors du service, lorsque l’agent a maladroitement utilisé son arme de service (cf. arrêt du Conseil d’Etat du 26 octobre 1973, n-81977). Cette règle se comprend à l’aune de la nécessité pour les agents de conserver cette arme à leur domicile. Il ne saurait toutefois pas être fait application de cette règle prétorienne dans l’hypothèse où l’agent concerné a utilisé l’arme à des fins criminelles (cette situation avait été connue par le Conseil d’Etat dans sa décision Dame Vve L., en date du 23 juin 1954, n-17339).
Enfin il est intéressant que la règle issue de la décision Demoiselle Mimeur s’applique également un cas particulier, à savoir : la faute personnelle commise par un maire (cf. en ce sens, CE, Société Banque française commerciale de l’océan indien, du 2 mars 2007). Dans ce cas d’espèce, il s’agissait d’un maire qui avait usé de son autorité, de même que des moyens que sa fonction lui conférait à l’effet de proférer de fausses attestations. Il avait été retenu par le juge administratif suprême que même si la faute en cause revêtait la nature d’une faute personnelle, la faute en cause ne pouvait être considérée comme non dépourvue de tout lien avec le service.
Références
https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000007636477/
https://www.lemondepolitique.fr/cours/droit_public/responsabilite_administrative/responsabilite-pour-faute-personnelle-de-l-agent.html
https://www.banquedesterritoires.fr/quand-la-faute-du-maire-nest-pas-depourvue-de-tout-lien-avec-le-service