Propos introductifs 

Dans notre cas d’espèce ici jugé et rapporté par le Conseil d’Etat, le juge administratif a rendu une décision qui a fait couler beaucoup d’encre et n’a pas manqué d’interpeller les citoyens. Il s’agissait plus précisément d’une réglementation qui impactait les croyances religieuses. Les juges ont été saisi d’une décision rendue par le Tribunal administratif de Paris, à l’occasion de laquelle des parents d’élèves avaient notamment demandé l’annulation d’un article du règlement intérieur d’un établissement scolaire qui prohibait le port du voile islamique, ainsi que des décisions dont avaient fait l’objet leur enfant. Le tribunal avait rejeté cette requête. Cette décision est importante en ce qu’elle intervient dans différents domaines, notamment celui du principe de laïcité qui a été aménagé, atténué. 

 

Quid des mesures d’ordre intérieur ? 

Dans notre cas d’espèce, le Conseil d’Etat a poursuivi la réduction de la catégorie des mesures d’ordre intérieur, qu’il avait initié à l’occasion d’un arrêt de section, en date du 23 novembre 1963, Camera (cf. CE Sect., n-50328) et qu’il a continué par la suite (cf. par exemple en ce sens, CE Ass., Hardouin, 17/02/1995, n-107766, ou encore plus récemment CE Ass., Payet, 14/12/2007, n-306432). 

En l’espèce, les juges ont retenu qu’il était impossible d’opposer l’irrecevabilité au regard des décisions d’exclusion de l’établissement concerné. En vérité, ici, les juges se sont inscrits dans une jurisprudence qui écarte les mesures d’ordre intérieur (cf. en ce sens, CE, Davin, 26/01/1966, n-64709). 


Qu’en est-il toutefois des conclusions dirigées à l’encontre du règlement intérieur ?

Il est à noter que le Conseil d’Etat, jusqu’à cette décision, considérait de tels actes comme étant des mesures d’organisation interne qui ne revêtaient pas une nature suffisamment importante à l’effet de pouvoir faire l’objet d’un recours (cf. CE Sect., Lote, 21/10/1938). Dans notre cas d’espèce, le juge administratif écarte cette dernière jurisprudence. Ce revirement n’a cependant pas constitué une grande surprise en ce sens où l’Assemblée générale plénière du Conseil d’Etat en avait précédemment fait la demande en 1989 par un avis (cf. CE Ass., 27/11/1989, n-346893). Ce faisant, en l’espèce, le juge administratif suprême accepte d’étudier les prétentions formulées par les parties. 

 

Une vision souple du principe de laïcité ?

En l’espèce, le Conseil d’Etat a jugé que la conception du principe de laïcité devait être souple et ce, en visant les dispositions de l’article 10 DDHC de 1789, de l’article 2 du texte constitutionnel suprême mais également de l’article 10 de la loi n-89-486 du 10 juillet 1989. Le Conseil d’Etat s’inscrit ici dans le contenu de l’avis rendu le 27 novembre 1989 susmentionné. La loi du 10 juillet 1989 prévoit d’ailleurs le service public de l’enseignement secondaire doit être assuré dans le respect du principe de neutralité et que les élèves sont en mesure d’exprimer librement leurs croyances religieuses en application du principe de liberté de conscience. 

Ceci revient à dire ici que le Conseil d’Etat considère le port du foulard islamique n’est en rien incompatible avec le principe de laïcité. 

 

Cependant il existe bien des limites au port d’insignes religieux

En effet, il en est ainsi lorsque ce port d’insigne constitue un « acte de pression, de provocation, de prosélytisme ou de propagande » (cf. CE, Ministre de l’éducation nationale c/ Khalid, 27/11/1996, n-172787). De plus, l’exercice de cette liberté ne doit pas impacter négativement la dignité ou encore la liberté de l’élève ou d’un membre de l’établissement concerné. Aussi, le port en question ne saurait d’une part porter atteinte à la santé des élèves ou à leur sécurité, et d’autre part, inquiéter le bon déroulement des enseignements (cf. en ce sens CE, Aoukili, 10/03/1995). In fine le port d’insigne religieux ne saurait pas non plus troubler l’ordre public ou encore troubler le fonctionnement du service concerné. 

 

Comment les règles ont-elles été modifiées en 2004 ?

Les règles en la matière ont par la suite été modifiées par les dispositions de la loi n-2004-228 du 15 mars 2004. Ainsi, de nouvelles règles ont été édictées concernant le port de signes religieux ou de tenues qui manifestent une appartenance religieuse dans les écoles, les collèges et les lycées publics. Ainsi, il est notamment prévu en son article premier qu’est interdit dans les établissements publics du primaire et du secondaire « le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse ». 


Ici, par l’introduction du terme « ostensible », les parlementaires ont rompu de manière radicale avec la conception initialement décidée par le Conseil d’Etat compte tenu des difficultés rencontrées par les chefs d’établissement en matière d’interprétation. Cette formulation n’implique finalement aucune recherche d’intention de celui qui porte un tel signe ou une telle tenue. L’illégalité est ainsi reconnue dès l’instant où un tel signe est suffisamment visible par tous.

Dans tous les cas, notre cas d’espèce illustre le contrôle qu’est effectué par le juge administratif concernant le pouvoir de police spécial qui revient à tout chef d’établissement. En procédant à la lecture et à l’examen du règlement intérieur de l’établissement concerné, il en ressort que l’interdiction en cause est à la fois générale et absolue et méconnait la liberté d’expression, elle-même garantie par le principe de laïcité. De ce fait, l’article litigieux est annulé par le juge administratif ce qui implique une annulation des décisions individuelles dont ont fait l’objet certains élèves. Même si les règles ont changé en la matière depuis cette décision, cette dernière revêt toujours la nature d’un grand arrêt de la jurisprudence administrative. 

 

Références 

https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000007834413/

https://vigie-laicite.fr/wp-content/uploads/ce-2-novembre-1992-kherouaa-retour-sur-la-laicite-scolaire.pdf

https://www.conseil-etat.fr/decisions-de-justice/jurisprudence/analyses-de-jurisprudence/dossiers-thematiques/le-juge-administratif-et-l-application-du-principe-de-laicite