Il fut, entre autres, décidé que le droit européen prime sur le droit national (cf. CJUE, 15 juillet 1964, Costa c/ ENEL, aff. 6/64). Cette primauté a par ailleurs été fortement critiquée par certains candidats à l’occasion de la campagne présidentielle de 2022. Cette critique est pour nous l’occasion de nous demander si le droit européen est réellement supérieur au droit français. Se poser cette question renvoie plus précisément à la question de savoir comment est formulé le rapport au droit européen par la Constitution du 4 octobre 1958 et quel est le rôle tenu par le Conseil constitutionnel ?


La Constitution française : la norme suprême au sein de l’ordonnancement juridique interne

Un constat s’impose : la Constitution du 4 octobre 1958 revêt le caractère de la norme suprême au sein de l’ordre juridique national. En d’autres termes, la Constitution française dispose d’une hégémonie dans le droit français et celle-ci se situe au sommet de la hiérarchie des normes. En ce sens, au sein de l’ordonnancement juridique national, le principe de la primauté du droit de l’Union européenne, tel qu’il résulte de la décision Costa c/ ENEL de la Cour de justice de l’Union européenne, ne trouve pas à s’appliquer à l’encontre de la Constitution.
Par conséquent, sous ce rapport si particulier, c’est bien la Constitution française qui se « place au sommet de l’ordre juridique [français] » (cf. Conseil constitutionnel, 19 novembre 2004, Traité établissant une Constitution pour l’Europe, n°2004-505 DC, §10). Pourquoi les Sages ont jugé ainsi dans cette décision ? Tout simplement parce qu’il revient à la Constitution d’autoriser les pouvoirs publics à procéder à la signature et à la ratification des accords et traités internationaux, et d’attribuer à ces derniers une valeur supérieure à celle de la loi.
Bien avant le Conseil constitutionnel, le Conseil d’Etat mais aussi la Cour de cassation sont tous les deux intervenus afin d’affirmer cette place si particulière de la Constitution au sein de la hiérarchie des normes (cf. Conseil d’Etat, Assemblée, 30 octobre 1998, Sarran et Levacher, n°200286 ; Cour de cassation, Assemblée plénière, 2 juin 2000, Mlle Fraisse, n°99-60.274).
Toutefois force est de constater que l’ordre juridique de l’Union européenne fut reconnu et intégré à l’ordre juridique français. Qu’est-ce que cela implique ?


Le droit européen, un ordre juridique expressément reconnu et intégré dans l’ordonnancement juridique national

La lecture de la Constitution du 4 octobre 1958 renseigne sur la place accordée au droit de l’Union européenne au sein du droit interne français. Il faut se reporter aux dispositions constitutionnelles du Titre XV, « De l’Union européenne », composé des articles 88-1 à 88-7. L’article 88-1 de la Constitution prévoit explicitement que la République française « participe aux Communautés européennes et à l’Union européenne », union composée d’Etats membres « qui ont choisi librement (…) d’exercer en commun certaines de leurs compétences ».
Le Conseil constitutionnel a considéré qu’en prévoyant de la sorte, le pouvoir constituant compétent a « consacré l’existence d’un ordre juridique de l’Union européenne intégré à l’ordre juridique interne » (cf. Conseil constitutionnel, 19 novembre 2004, précité, §11), avant d’ajouter que cet ordre juridique européen est « distinct de l’ordre juridique international » (cf. également Conseil constitutionnel, 31 juillet 2017, Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne et ses Etats membres, n°2017-749 DC, §9).
Le Conseil constitutionnel a donc considéré que le droit de l’Union européenne dispose, en droit français, d’une spécificité constitutionnelle.
Cette spécificité implique tout d’abord que la République française participe au développement de l’Union européenne en tant qu’organisation internationale permanente. Cette dernière dispose d’ailleurs de la personnalité juridique et dispose de différents pouvoirs de décision parce que les Etats membres, la France comprise, ont souverainement consenti à transférer certaines de leurs compétences à son profit. Cependant dans le cadre de ses compétences, si l’Union européenne venait à souscrire à des engagements internationaux qui contiendraient une ou plusieurs clauses contraires à la Constitution française, alors l’autorisation de ratifier de tels engagements appellerait à modifier, à réviser la Constitution (cf. Conseil constitutionnel, 19 novembre 2004, précité, §7).
Ensuite, le Conseil constitutionnel a considéré que ces dispositions de l’article 88-1 de la Constitution impliquent que la transposition en droit français d’une directive européenne « résulte d’une exigence constitutionnelle » (cf. Conseil constitutionnel, 10 juin 2004, Loi pour la confiance dans l’économie numérique, n°2004-496 DC, §7), exigence à laquelle il ne saurait être fait obstacle, lui conférant ainsi une immunité constitutionnelle.
Toutefois le Conseil constitutionnel veille à ce que ces transpositions ne résultent pas sur des violations de principes constitutionnels qui caractérisent l’ordre juridique français (comme la laïcité, par exemple). Il assure de la sorte la supériorité de la Constitution française sur le droit européen en ce qu’il considère qu’une telle loi de transposition puisse être paralysée, contrecarrée s’il venait à y avoir une contrariété avec un principe distinctif constitutionnel.
Cette jurisprudence résulte surtout des décisions du Conseil constitutionnel du 20 juin 2004 (Loi pour la confiance dans l’économie numérique, n°2004-496 DC, §7) et du 27 juillet 2006 (Loi relative aux droits d’auteur, n°2006-540 DC). Cette dernière décision vient délimiter le champ de contrôle du Conseil constitutionnel au regard des lois de transposition des directives européennes, lorsque celles-ci sont précises et inconditionnelles. Le juge constitutionnel ne pourra censurer les dispositions d’une loi de transposition que si celles-ci sont contraires à « une règle ou à un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France » (§18 de la décision précitée), ou si elles sont « manifestement incompatibles » avec la directive en cause (et donc non conformes à l’article 88-1 susmentionné). En définitive, la position du Conseil constitutionnel demeure relativement ambigüe concernant ces lois de transposition des directives.


Références

https://www.conseil-constitutionnel.fr/la-constitution/quel-rapport-a-l-europe-fixe-la-constitution#:~:text=Tout%20en%20demeurant%20la%20norme,droit%20de%20l'Union%20europ%C3%A9enne.
https://www.conseil-constitutionnel.fr/publications/titre-vii/les-rapports-entre-droit-constitutionnel-et-droit-de-l-union-europeenne-de-l-art-de-l-accommodement
https://www.vie-publique.fr/fiches/20362-quelles-relations-entre-le-droit-europeen-et-les-droits-nationaux
https://geopolitique.eu/articles/constitution-francaise-et-droit-de-lunion-europeenne-approche-par-la-complexite-des-rapports-de-puissance-juridique/