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L'individu qui a donné naissance à un enfant peut-il être enregistré au registre de l'état civil en qualité de père ?

Par deux arrêts rendus le 4 avril dernier, la Cour européenne des droits de l'homme s'est intéressée à la question de savoir si un individu qui a donné naissance à un enfant est en mesure d'être enregistré au registre de l'état civil en qualité de père. Qu'a-t-elle décidé ? Décryptage.

L'individu qui a donné naissance à un enfant peut-il être enregistré au registre de l'état civil en qualité de père ?

Crédit Photo : © Simon Dannhauer / Shutterstock.com

Les faits de ces deux espèces

Dans le premier cas, il s’agissait d’un individu né de sexe féminin, transgenre et maintenant de sexe masculin, qui a donné naissance à un enfant. Cependant, les autorités compétentes ont enregistré cet individu en qualité de mère de l’enfant (cf. CEDH, O.H. et G.H. c/ Allemagne, n° 53568/18 et 54741/18 du 4 avril 2023, §12).
Dans le second cas, il s’agissait d’un individu né de sexe masculin, transgenre et maintenant de sexe féminin, et qui avait été en mesure de procréer à la suite de l’utilisation de ses gamètes. Cette personne fut enregistrée par les autorités compétentes en qualité de père de l’enfant (cf. CEDH, A.H. c/ Allemagne, n° 7246/20 du 4 avril 2023).
Dans ces deux arrêts, les requérants ont contesté devant la Cour les décisions prises par les autorités allemandes. Ici, la Cour s’est intéressée à ces deux cas en passant au crible les dispositions de l’article 8-1 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) qui s’intéresse au droit au respect de la vie privée et familiale et qui comprend notamment ce qu’on appelle le droit à l’autodétermination, c’est-à-dire la liberté attribuée à tout un chacun de « définir son appartenance à un genre » et qui constitue « l’un des éléments les plus essentiels » (cf. respectivement §81 et §85 de ces arrêts). Y-a-t-il eu une atteinte portée au droit au respect de la vie privée et familiale des parents concernés ?

Les dispositions de l’article 8-1 de la CEDH

Les dispositions de l’article 8-1 de la CEDH imposent deux catégories d’obligations, des obligations positives et des obligations négatives. Ces dispositions portent en vérité sur la nécessité de garantir à tout individu que les autorités étatiques ne s’ingéreront pas dans sa vie privée et familiale de telle manière qu’elles porteraient atteinte à ce droit : il s’agit ici d’obligations négatives. En outre, il en ressort que les autorités étatiques doivent prendre des mesures qui permettent de garantir le respect effectif de ce droit : il s’agit ici d’une obligation positive. La Cour s’est demandé si les décisions qui ont été prises par les autorités allemandes l’ont été en méconnaissance des obligations positives qui leur incombent cependant ? Il convient de noter ici que les Etats disposent d’une marge d’appréciation en la matière.

Quelle était l’ampleur de la marge d’appréciation des autorités allemandes ?

Il est important de retenir tout d’abord que les Etats bénéficient d’une marge d’appréciation à l’égard de la mise en place des obligations dont ils doivent s’acquitter. L’ampleur de cette marge d’appréciation est en vérité fonction de différentes considérations tenant par exemple aux intérêts qui sont protégés. Dans le cas d’aspect notablement majeur, à l’image de l’identité, alors cette marge se veut réduite. Cette dernière sera plus étendue si les faits de l’espèce intéressent des questions d’ordre moral par exemple, ou bien que les autorités étatiques en cause doivent équilibrer des intérêts à la fois publics et privés.
En dépit du fait que ces deux affaires intéressent l’identité des requérants, ici, la marge de manœuvre n’est pas réduite pour les autorités allemandes car la Cour considère que l’enfant dispose du droit de connaitre sa filiation et que ce droit peut « limiter [ceux] invoqués » par les requérants (cf. §113 des décisions) d’autant plus que les liens de filiation visés ne sont pas remis en cause. Aussi, elle relève que l’Allemagne a dû équilibrer des intérêts privés et publics, tenant à la protection des droits des parents et des enfants et à garantir l’unité de l’ordre juridique allemand ainsi que la régularité de l’état civil, et qui étaient finalement discordants. La marge de manœuvre doit donc être étendue en pareils cas.
Si l’Allemagne disposait d’une marge de manœuvre vaste, il n’en reste pas moins que la Cour est en mesure de l’examiner en s’intéressant à la question de savoir si un équilibre qualifié de « juste » fut instauré entre ces intérêts publics/privés et ce, en « [priorisant] l’intérêt supérieur de l’enfant » (cf. §124). Les juges de la Cour constatent que la protection entourant l’identité de ces deux parents doit résulter sur une inscription conforme à leur identité transfère à l’état civil. Ceci étant dit, ils soulignent le fait que « la maternité et la paternité » constituent des « catégories juridiques » et ne peuvent être « interchangeables » (cf. §121). Il est aussi fait mention que les changements de genre ont été enregistrés dans les documents officiels qui les intéressent et que l’accès à aux actes de naissance est limité ; enfin qu’une copie des actes de naissance peut être obtenue mais qu’elle est dénuée de toute mention relative aux parents. Aussi, les requérants avaient proposé de substituer les termes « mère et père » respectivement par « parent 1 et parent 2 ». Cependant, pour la Cour, cette substitution ne les protégerait pas suffisamment contre une possible divulgation de leur transsexualisme puisque la mention « parent 1 » ferait toujours référence directe à l’individu ayant donné naissance à l’enfant. Finalement, les juges retiennent que l’intérêt de l’enfant se fonde, d’une certaine manière, avec l’intérêt général et donc vise à garantir l’unité de l’état civil et respecter la sécurité juridique (cf. §125). Pour elle, même si l’Etat peut garantir les exigences imposées par ce droit d’une autre façon par l’instauration d’autres mesures en ce sens, il n’en demeure pas moins que cette possibilité découle « en principe de la marge d’appréciation des Etats » (cf. §129). Au vu de l’ensemble des éléments ci-dessus développés, et en considérant l’intérêt supérieur de l’enfant, les juges ont décidé qu’un équilibre juste fut permis par les autorités allemandes entre les intérêts en cause. D’où il s’ensuit que l’article 8-1 de la Convention européenne des droits de l’homme n’a pas été violé par les autorités allemandes.

Références
https://hudoc.echr.coe.int/eng#{%22itemid%22:[%22001-223924%22]}
https://hudoc.echr.coe.int/fre#{%22itemid%22:[%22001-223932%22]}
Communiqué de presse de la Greffière de la Cour, CEDH 105 (2023) 04.04.2023
https://www.editions-legislatives.fr/actualite/transidentite-et-filiation%C2%A0-un-premier-positionnement-de-la-cedh/

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