Propos introductifs

C’est à l’occasion d’une entrevue accordée à Télématin sur France 2, le 5 mai dernier, que Valérie Pécresse a proposé que le droit de grève soit limité. Cette proposition faisait précisément écho au préavis de grève de certains agents de la SNCF lors du pont du 8 mai. Selon cette proposition, il s’agit tout simplement de prohiber l’exercice du droit de grève pendant certaines périodes de la journée. Elle précise à ce sujet que cette limitation doit permettre un « service plein » pendant les heures de pointes. 

 

L’interdiction de l’exercice du droit de grève 

Il est à noter ici que cette proposition ne présente pas d’originalité en ce sens où celle-ci fit déjà l’objet de débats. Ainsi, s’il nous fallait un exemple, nous pouvons relever qu’en 2024, Éric Ciotti préconisait d’interdire l’exercice du droit de grève pendant les vacances scolaires. Or cette proposition se heurtait bien à la Constitution. 

Il nous faut aussi relever le fait que certaines de ces propositions n’en étaient pas restées au simple stade de la parole. En effet, il y a eu des propositions qui ont été jusque dans les chambres du Parlement ce qui est d’autant plus inquiétant. Retenons, entre autres, la proposition de Véronique Besse, début décembre 2024, visant à ce que soient interdites les grèves dans les transports aussi bien pendant les vacances scolaires qu’à l’occasion de période de forte affluence. Cette proposition avait été renvoyée en commission et n’a pour l’heure pas été débattue par les membres de l’Hémicycle. 

Cette énième proposition constitue pour nous l’occasion de revenir sur les règles auxquelles elle se heurterait, notamment les dispositions contenues au sein de la norme suprême. 

 

Le droit de grève et le texte constitutionnel 

Le droit de grève, qui pour rappel dispose d’une valeur constitutionnelle, doit dans la pratique être conciliés avec deux autres principes de même nature, à savoir : le principe de continuité du service public ainsi que la liberté d’aller et venir. Cela signifie que les parlementaires sont contraints, lorsqu’ils élaborent la loi, de concilier ces principes. Il est vrai que les parlementaires sont habilités à restreindre certains principes. Toutefois cette limitation ne saurait être disproportionnée. La conciliation doit donc être suffisante sinon le Conseil constitutionnel, s’il est saisi de la proposition de loi, la censurera nécessairement. 

 

Quelles sont les limites apportées au droit de grève ?

Il est maintenant important de noter que le droit de grève ne s’applique pas pour certaines professions déterminées. Il s’agira, par exemple, des soldats et des gendarmes ou encore des policiers. 

La question qui se pose, concernant la proposition de Valérie Pécresse, est bien celle de savoir les personnels des transports intégreraient ce que le Conseil constitutionnel, dans sa décision rendue le 25 juillet 1979 (décision n-79-105 DC), nomme «  les agents dont la présence est indispensable pour assurer le fonctionnement des éléments du service dont l’interruption porterait atteinte aux besoins essentiels du pays » ? C’est ici le cœur de la problématique que la proposition susmentionnée réside. À en lire ses décisions, il n’en est rien. 

Cependant il ne faut pas oublier le fait que les parlementaires sont en mesure de restreindre l’exercice du droit de grève sans pour autant l’interdire. Nous pouvons à titre d’exemple relever qu’il existe une obligation de préavis au sein des services publics et qui a pour objectif d’empêcher tout déclenchement d’une grève soudaine. Par une obligation tirée de la loi n-2007-1224 du 21 août 2006, il est prévu que les agents grévistes se déclarent de manière individuelle 48h avant la grève afin que l’entreprise soit en mesure de mettre en place un service minimum. 

Oui le droit de grève peut être restreint. Toutefois il est impératif qu’une proportionnalité soit rencontrée entre la liberté protégée (dans notre cas c’est la liberté d’aller et venir des usagers qui est protégée) et la restriction poursuivie. Néanmoins selon le Conseil constitutionnel, empêcher les salariés d’user de leur droit de grève pendant les heures de pointe constitue une disproportion et partant, ne saurait être tolérée (cf. décision susmentionnée de 1979). 

 

Les heures de pointe : de quoi parle-t-on ? 

Cette question n’est pas dénuée de sens dans la mesure où rien n’est précisé par l’auteure de cette proposition sur l’étendue des heures de pointe, d’autant plus que ces périodes dans la journée diffèrent en fonction des catégories de salariés. Où ajuster le curseur ? Comment prendre en compte les professionnels travaillant en horaires dits atypiques ? Quid des entreprise qui pratiquent ce que l’on appelle « le travail en continu » (ou les « trois huit ») ? 

Cette proposition de Valérie Pécresse n’aurait pour autre résultat que de créer un traitement différencié entre les différentes catégories de salariés. En découlerait des difficultés relatives à la conformité de cette proposition en regard de la Constitution, norme suprême. 

L’on peut également considérer que ces périodes journalières pendant lesquelles le droit de grève est restreint semblent trop importantes : ceci représente en effet environ 6 heures par jour et donc un quart d’une journée de travail. Cela ne constituerait-il donc pas une atteinte disproportionnée au droit de grève ? Et ce, même sous couvert de rechercher à assurer la continuité du service public d’une part, garantir la liberté d’aller et venir des usagers d’autre part ? Il serait fort à parier que cette proposition ne passe pas l’obstacle de l’examen minutieux du Conseil constitutionnel…

Nul doute finalement que cette proposition semble revêtir la nature d’un effet d’annonce afin de tenter de calmer la colère des usagers (franciliens). 

 

Références

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/dossiers/greves_transports_vacances_scolaires_forte_affluence

https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000428994#:~:text=Le niveau minimal de service,l'organisation des transports scolaires.

https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/1979/79105DC.htm