Nationalité et liberté
La Cour internationale de justice, dans sa décision du 6 avril 1955, Nottebohm, a défini la notion de nationalité comme étant constitutive d’un lien juridique qui existe entre un État et un individu qui trouve son fondement dans « un fait social de rattachement, une solidarité effective d’existence, d’intérêts, de sentiments joints à une réciprocité de droit et de devoirs ».
Il convient immédiatement de noter ici que cette notion est l’exemple parfait de la souveraineté de l’Etat. Chaque État peut alors décider souverainement et discrétionnairement des conditions d’attribution de la nationalité. Il existe 4 critères qui peuvent permettre cette attribution de manière traditionnelle : le principe du jus soli (lieu de naissance de l’individu), celui du jus sanguinis (lien de filiation de l’individu), son lieu de résidence ou encore le statut matrimonial qui renvoie à la nationalité du conjoint. Il est toutefois possible à un État de décider de l’ajout d’un ou plusieurs critères complémentaires, le droit international n’encadrant que très peu cette compétence souveraine.
La France semble avoir fait le choix de la combinaison du lieu de naissance et de résidence de l’individu dans l’attribution de la nationalité comme nous l’avons vu dans nos récentes publications concernant Mayotte. Retenons toutefois que le droit français suit une approche relativement restrictive de la notion de droit du sol car le fait de naître sur le territoire français n’entraîne pas automatiquement l’acquisition de la nationalité. Au sens de l’article 21-7 du code civil, en effet, l’individu né de parents non français doit remplir les conditions de naissance sur le territoire mais aussi celle de résidence, présente et passée. Exception faite pour l’individu pouvant justifier de la naissance d’un de ses parents sur le territoire national au sens de l’article 19-3 du code civil.
Le droit du sol peut également connaître une application différente en fonction du temps et du lieu. Au sens de l’article 73 du texte constitutionnel suprême, il est possible pour l’Etat de prévoir des dérogations concernant les territoires ultra-marins. Mayotte en constitue un exemple et ces modulations furent renforcées à l’occasion de la loi n-2025-412 du 12 mai 2025. Pour rappel cette loi dispose que les deux parents doivent justifier d’une résidence régulière et ininterrompue pendant une durée minimale d’un an.
Quid de l’acquisition de la nationalité par naturalisation ? Ici aussi la souveraineté étatique s'illustre ainsi que son pouvoir discrétionnaire en ce que la nationalité peut être refusée au demandeur même s’il remplit toutes les conditions, au sens de l’article 21-14-1 du code civil. Nous devons néanmoins rappeler ici que les conditions en cause furent durcies par la circulaire du 2 mai 2025.
Si l’Etat est souverain, il n’en demeure pas moins que le droit international intervient cependant pour prévoir certaines limites à cette qui lui est accordée.
Nationalité et droit international
Il apparaît important maintenant de préciser que, même si l’Etat dispose d’une souveraineté, d’une liberté et d’un pouvoir discrétionnaire concernant les choix en matière d’attribution de la nationalité, le droit international ne demeure pas muet face à ces prérogatives en ce qu’il intervient tout de même pour poser des limites.
Ces limites s’illustrent tout d’abord par la reconnaissance d’un droit à la nationalité : il est en par exemple ainsi du Pacte International de 1966 sur les droits civils et politiques ou encore de la Convention sur la nationalité de 1997 qui considère que toute personne dispose du droit à une nationalité. Cette convention prévoit en outre que la situation d’apatridie d’un individu doit être évitée et qu’un individu ne saurait perdre sa nationalité de manière arbitraire.
Ceci signifie, en d’autres termes, que la notion de nationalité est considérée comme un lien particulier entre un individu et un Etat et que ce lien doit être effectivement et utilement reconnu par ce dernier.
Il est par ailleurs intéressant de noter que les juges ont un rôle à jouer à ce sujet. Ainsi les juges de la Cour international de justice dans la décision Nottebohm susmentionnée a procédé à la définition de la notion de nationalité. Sur la base de cette définition prétorienne, et compte tenu des éléments qui y sont spécifiquement mentionnés, il en ressort qu’un droit à une nationalité doit être en effet reconnu. Dans une optique identique, la Cour européenne des droits de l’homme a pu considérer qu’en dépit d’une absence de disposition contenue au sein de la Convention qui intervient à l’effet de garantir ce droit d’acquérir une nationalité, il est possible qu’un « refus arbitraire » de l’octroyer est de nature porter atteinte, dans une certaine mesure, aux dispositions conventionnelles de l’article 8 concernant la vie privée de la personne concernée. Elle avait décidé ainsi dans sa décision du 11 octobre 2011, Genovese c/ Malte (cf. n-53124/09). Il convient de comprendre cette décision à l’aune du concept de la vie privée qui revêt une nature particulière en ce qu’il est très étendu et intéresse l’ensemble des aspects de l’identité sociale de l’individu.
Cette conception fut d’une part également reprise sur le plan national par le juge administratif suprême à l’occasion de sa décision rendue le 12 décembre 2014, Association Juristes pour l’enfance, n-367324) ; d’autre part par la Cour de justice de l’Union européenne dans sa décision du Tjebbes du 12 mars 2019 (cf. Aff. C-221/17) à l’occasion de laquelle les juges avaient relevé l’existence de liens entre ce droit à la nationalité et d’autres droits et libertés fondamentales.
Pour clore, nous pouvons retenir que même si l’Etat dispose d’une grande liberté en matière d’attribution de la nationalité, il n’en demeure pas moins que celui-ci doit respecter le droit international et européen qui régissent tous deux certains aspects de cette notion.
Références
https://www.icj-cij.org/fr/affaire/18
https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000029926601/
https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?docid=211561&doclang=DE