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Marbury vs. Madison - Décryptage de l'arrêt

Le 24 février 1803, la Cour suprême des États-Unis d'Amérique rend l'arrêt Marbury contre Madison. Il s'agit là d'un véritable arrêt de principe rendu par le juge suprême tant sa portée est lourde de conséquences à l'époque, et ce, jusqu'à aujourd'hui. Décryptage.

Marbury vs. Madison - Décryptage de l'arrêt

Credit Photo : Flickr Liz Mc

La Cour suprême des États-Unis, siégeant à Washington D.C., dans le nord-est du pays, est le sommet du pouvoir judiciaire américain et est juge de dernier ressort. L'article III de la Constitution américaine, acceptée le 17 septembre 1787, prévoit qu'elle est compétente sur tous les cas relevant de la Constitution ou des lois des États-Unis et des traités qui ont été conclus.

Cet arrêt intervient précisément lors d'affrontements entre démocrates-républicains et fédéralistes, à la suite de la guerre d'indépendance. Des querelles politiques à l'origine d'un des arrêts les plus connus de l'histoire juridique et politique américaine...

Il convient donc de se demander dans quelle mesure cet arrêt marque l'histoire juridique et politique des États-Unis d'Amérique ?

Pour répondre à la question posée, il sera question, au travers de cet exposé, de s'intéresser à la possibilité pour la Cour suprême d'adresser une injonction à un membre du pouvoir exécutif, et donc du gouvernement. La Cour profitera de cette décision pour renforcer le pouvoir qui est le sien même si, à vrai dire, elle marquera le point de départ d'une longue histoire jurisprudentielle en la matière.



La possibilité d'adresser une injonction à un membre du pouvoir exécutif

Les faits qui menèrent à cette affaire méritent d'être évoqués tant ils sont importants en ce qu'ils soulèvent des questions dont les réponses à apporter concernant le pays tout entier.

Les faits qui menèrent à l'affaire

Il faut savoir qu'à la suite de la guerre d'indépendance américaine qui eut lieu entre 1775 et 1783, de nombreuses questions surgissent quant à l'organisation des pouvoirs dans le pays et surtout ceux relatifs aux différents États fédérés. Il existe à l'époque deux grands partis, même si leur dénomination n'est pas celle qui serait entendue aujourd'hui, s'agissant principalement de groupes informels : le parti fédéraliste et les républicains-démocrates.

Le premier comprend notamment John Adams (deuxième président des États-Unis) et Alexander Hamilton. Ils veulent une sorte de domination, un pouvoir plus conséquent pour l'État fédéral sur les États fédérés. Cette suprématie suppose en fait une grande méfiance pour eux quant à des dérives possibles liées à la démocratie. Le second comprenant pour sa part, comme grands noms, Thomas Jefferson et James Madison, respectivement troisième et quatrième président des États-Unis. Ils veulent, par opposition au premier, maquer une limitation conséquente quant aux pouvoirs du gouvernement fédéral et sont attachés à des principes de souveraineté populaire.

Thomas Jefferson, alors démocrate-républicain, bat John Adams aux élections ayant eu lieu en novembre 1800. Il faut savoir, pour la compréhension des faits liés à cette affaire, qu'à l'époque le président fraichement élu ainsi que le Congrès n'entrent en fonction qu'au tout début du mois de mars, et pour être plus précis, le 4 mars 1801. Lors de cette longue période qui sépare élection et entrée en fonction, le président ainsi que la majorité au Congrès placent leurs partisans dans les différents postes vacants ou créent de nouveaux postes. C'est alors qu'entre en scène William Marbury qui est, au côté de John Marshall, nominé.

Qui est donc John Marshall ? C'est un personnage important. En fait, il est secrétaire d'État : il a les attributions d'un ministre des Affaires étrangères et celles d'un garde des Sceaux, mais n'est cependant pas ministre de la Justice. Il deviendra également Président de la Cour suprême des États-Unis : il cumule donc les mandats, et ce, jusqu'à ce que Thomas Jefferson prenne ses fonctions en tant que président.

Qui est William Marbury ? Ce dernier est lié au parti des fédéralistes et c'est un éminent homme d'affaires. Il devient juge de paix dans le district de Washington, D.C. Il est juge, nommé pour cinq années, mais siège dans un tribunal dont les attributions sont réduites. Nombreuses seront les nominations signées par John Adams à la veille de la fin de son mandat, le 3 mars 1801...

John Marshall doit, aux personnes concernées par les actes de nomination, leur remettre, mais ne le fait pas... Thomas Jefferson, alors entré en fonction, décide de nommer James Madison, second protagoniste dans cette affaire, en tant que secrétaire d'État. Il lui est ordonné par le chef de l'État de ne pas remettre ces nominations. Certaines furent toutefois remises : celle de Marbury ne le fut pas. Il ne peut donc pas légalement occuper son poste !

C'est là tout le problème qui se pose à la Cour suprême. Globalement, Marbury considère que sa nomination est valide, car signée par John Adams. Selon ses griefs, le président nouvellement en fonction ne peut lui refuser le poste. Il demande une injonction pour que sa nomination lui soit remise. Voici alors l'origine du nom de l'affaire : Marbury contre Madison.

Des réponses apportées par le juge suprême

Il était alors question de la nomination, principalement, dans cette affaire. L'arrêt de la Cour suprême est rendu par John Marshall.

La Cour va répondre à la question de savoir si, oui ou non, William Marbury a droit à ce que l'acte de sa nomination lui soit remis. La Cour décide de valider la nomination. Quand est-ce qu'une nomination est effective ? Quand va-t-elle prendre effet ? D'abord, la nomination n'a pas de caractère définitif pour les offices dont le titulaire peut être purement et simplement démis par le président des États-Unis.

Tel n'est pas le cas pour les juges de paix... Le candidat qui fut désigné par le chef de l'État doit obligatoirement être accepté par le Sénat. Ce sera seulement après cette acceptation que le président est en mesure de signer la nomination du candidat. Le secrétaire d'État apposera par la suite le sceau des États-Unis. Ensuite, la nomination sera transmise par ce dernier à l'intéressé. Deux copies de cette nomination existent : l'une à l'intéressé et l'autre gardée par le secrétaire d'État. En fait, c'est l'acte de signature du président des États-Unis qui rend l'acte de nomination du candidat valide. C'est certes un pouvoir de nomination lui appartenant mais le Sénat doit aller en ce sens : il doit rendre un avis qui liera malgré tout le président. Alors, même si l'acte a déjà été transmis à son destinataire, cela ne signifie en aucune façon que l'acte est valable. Thomas Jefferson a donc tord en ce qu'il ne peut pas bloquer le processus de nomination du juge de paix.

Marbury dispose-t-il de voies de recours ? En droit américain, fortement proche du droit anglais, l'examen des voies de recours est effectué avant l'examen des droits à proprement parler, selon l'adage "remedies precede rights". La réponse apportée fut des plus simples : oui : il existe un droit, il existe un recours. Là n'est pas le réel souci...

Exactement là où le problème se creuse est lorsqu'il s'agit de savoir si une injonction peut être adressée à un membre du pouvoir exécutif ? Les trois pouvoirs, judiciaire, exécutif et législatif, étant séparés, qu'en est-il alors de la séparation des pouvoirs ? Les tribunaux, et donc l'ordre judiciaire, n'ont pas à connaître des actions des agents faisant partie du pouvoir exécutif : ils ne sont responsables que politiquement. Toutefois, il se peut que la loi impose aux différents titulaires d'une charge appartenant à l'exécutif des obligations de type administratif et face auxquelles il est impossible au président de contrevenir. Si inexécution il y a, l'action serait ouverte à toute personne ayant un intérêt. Donc, dans le cas d'espèce, Marbury doit se voir remis sa nomination. Le juge suprême déclare alors que l'injonction est possible si aucun autre recours légal ne peut être utilisé. En fait, si le pouvoir du président des États-Unis est de faire exécuter les lois, il lui est impossible d'en empêcher l'exécution !

Certes, la Cour suprême des États-Unis a considéré qu'il lui était possible d'émettre une injonction. Toutefois, elle va beaucoup plus loin dans cette décision, car elle décide purement et simplement de s'octroyer, unilatéralement, une compétence revenant normalement à une cour ou à un Conseil constitutionnel...

Une compétence normalement octroyée à une cour ou un Conseil constitutionnel

S'il est possible d'émettre une injonction, une question relative à la capacité du juge suprême américain de le faire a été posée. Par cette décision, la cour en profite pour renforcer, elle-même, ses pouvoirs.

La question relative à la capacité du juge suprême à le faire

Si une telle injonction est envisageable, la Cour suprême des États-Unis est-elle capable d'en émettre ? La question est absolument logique et a été posée par John Marshall. Après tout, il s'agit d'une question de pur droit : la capacité.

La possibilité pour la Cour d'émettre une injonction est prévue de façon expresse en 1789 par la loi organisant le pouvoir judiciaire (judiciary act). La Cour, et uniquement la Cour, a "pouvoir (...) d'émettre des injonctions [à] tout titulaire d'un office sous le gouvernement".

Pourtant, il faut noter, même souligner avec la plus grande importance, que l'article troisième de la Constitution des États-Unis prévoit que si la Cour suprême peut, constitutionnellement et légalement, juger une affaire, elle ne peut le faire qu'en appel et non en première instance...

C'est sans compter sur le juge suprême et sa maîtrise du droit ! La Cour décide de soulever d'office le moyen d'inconstitutionnalité. Pourtant, ce moyen n'était souhaité par personne et à commencer par Marbury, car il se voit privé de son recours ! Ni même le gouvernement à vrai dire, car il ne souhaite pas que la cour puisse contrôler la constitutionnalité d'une loi et donc, la conformité de la loi, norme inférieure à la Constitution, norme supérieure !

Cette supériorité, pour John Marshall, doit être pratique et non uniquement théorique... Pour lui, un acte contraire à la Constitution, norme suprême, doit être frappé de nullité. Pour lui encore, la Constitution force le pouvoir législatif à trancher en faveur d'elle-même. Donc, William Marbury ne dispose d'aucun recours en dépit du fait que le droit qui est le sien fut précisément reconnu...

Cette explication n'a pas lieu d'être si elle n'est pas rattachée au cas d'espèce, qui au-delà d'une complexité apparente, apporte une réponse sans précédent quant au pouvoir de la Cour suprême en droit américain.

La Cour suprême procède à son propre renforcement

Le juge suprême profite de cet arrêt pour se renforcer. Plus que la reconnaissance d'une nomination effective, le souhait de créer un fiasco politique ? La question n'est absolument pas dénuée de sens, car il a été expliqué que le pouvoir exécutif est acquis au parti démocrate-républicain et que le pouvoir judiciaire est pour sa part dans la mouvance fédéraliste...

Toutefois, l'importance de cet arrêt concerne moins cette hypothèse de débat que sa décision rendue. La Cour délimite avec vigueur le domaine dans lequel le pouvoir exécutif peut agir sans contrôle juridictionnel opéré.

La Cour suprême considère qu'il revient à elle seule et uniquement à elle de prononcer la constitutionnalité ou l'inconstitutionnalité d'une loi, et donc, de rejeter purement et simplement une loi contraire à la constitution écrite.

Quel est l'effet de cette reconnaissance ? Le pouvoir judiciaire est l'égal des deux autres pouvoirs exécutif et législatif. C'est en ce sens que la Cour énonce que "C'est précisément le domaine et le devoir du pouvoir judiciaire de dire ce qu'est la loi ". Si le juge suprême souhaite réaffirmer son pouvoir de façon solennel, il y procède en rappelant expressément cette phrase. Il faut savoir que jusqu'en 1835, la Cour aura l'occasion d'étendre davantage cette possibilité au pouvoir judiciaire dans sa totalité...

Sources : Caselaw, Conseil constitutionnel, La Cour suprême des États-Unis : pouvoir et évolution historique - Christian Lerat (page 101), Histoire des États-Unis - Bernard Vincent (édition 2016)


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