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La fiche de jurisprudence - L'affaire Baby-Loup

Nous vous présentons ici l'affaire Baby-Loup, un arrêt de rejet rendu par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation le 25 juin 2014, sous forme de fiche de jurisprudence en vue de son commentaire.

L'affaire Baby-Loup

Credit Photo : Unplash Markus Spiske


L'accroche

L'Assemblée plénière de la Cour de cassation a rendu un arrêt le 25 juin 2014 relatif à la validité d'une clause de neutralité dans un règlement intérieur.

Les faits

En l'espèce, une personne physique a été engagée en contrat à durée indéterminée à partir du 1 janvier 1997, en tant que directrice adjointe d'une crèche gérée par la personne morale de droit privée, l'association Baby-Loup. De retour d'un congé maternité et d'un congé parental, commencés en mars 2003 et terminés le 8 décembre 2008, la salarié a été convoquée à un entretien préalable de licenciement avec mise à pied à titre conservatoire, le 9 décembre 2008. Suite à cela, elle a été licenciée pour faute grave pour violation du nouveau règlement intérieur de l'association, pour avoir porté un signe religieux ostentatoire et pour son comportement.


La procédure

La salariée assigne l'association Baby-Loup devant le conseil des Prud'hommes de Mantes-la-Jolie en nullité du licenciement en raison d'une discrimination envers ses convictions religieuses. La juridiction de première instance déboute la demanderesse pour insubordinations caractérisées et répétées, dans un jugement du 13 décembre 2010. Elle interjette appel devant la Cour d'appel de Versailles qui rend un arrêt confirmatif le 27 octobre 2011. L'appelante se pourvoit en cassation.

La Chambre sociale de la Cour de cassation casse et annule l'arrêt de la Cour d'appel avec renvoi devant la Cour d'appel de Paris, le 19/03/2013. Elle évoque que le principe de laïcité ne peut être appliqué aux salariés d'un employeur de droit privé ne gérant pas un service public, pour limiter la protection accordée aux salariés issue du Code du travail.

La Cour d'appel de Paris confirme le jugement du Conseil des Prud'hommes dans un arrêt du 27 novembre 2013 au motif que l'association Baby-Loup est une entreprise de conviction. À cette fin, elle peut exiger la neutralité de ses employés.


Les moyens des parties

La salariée se pourvoit devant la Cour de cassation une nouvelle fois en soulevant plusieurs moyens pour soutenir ses prétentions, soit la nullité de son licenciement.


En premier lieu, elle justifie que l'association Baby-Loup n'est pas une entreprise de conviction. Pour la qualifier comme telle, elle doit nécessiter l'adhésion à une doctrine philosophique ou religieuse et elle doit avoir pour objet de la promouvoir ou la défendre. Alors que les statuts de l'association ne définissent que des missions dirigées vers la petite enfance, sans aucune adhésion requise. L'association impose seulement les principes de laïcité et de neutralité aux employés dans son règlement intérieur.

De plus, le choix de l'entreprise de conviction doit être philosophique, idéologique ou religieux. Il ne peut pas s'agir de la nécessité de respecter une norme juridique ou des contraintes attachées à la nature des activités de l'entreprise, pour imposer la neutralité aux salariés. Comme le motive la Cour d'appel quand elle évoque la protection de la liberté de conscience, religieuse et de pensée de l'enfant instaurée par la Convention de New York et le respect de « la pluralité d'opinions religieuses des femmes dans le cadre de l'insertion sociale et professionnelle dans un environnement multiconfessionnel ».


En second lieu, la demanderesse invoque que le principe de laïcité n'est pas applicable aux salariés d'un employeur de droit privé qui ne gère pas un service public. Une entreprise de conviction restreignant la manifestation de la liberté religieuse par ses salariés sur le seul principe de neutralité ne peut être créée que par la loi. Donc une restriction de la liberté religieuse des salariés garantie par le Code du travail, doit être justifiée « par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante, et doit être proportionnée au but recherché ».

À cette fin, la salariée prétend que la Cour d'appel devait rechercher l'incompatibilité entre le port du voile islamique avec son travail. Ce dont la demanderesse relève que l'interdiction de porter un signe ostentatoire face à une obligation générale de neutralité n'est pas proportionnée.


En troisième lieu, les moyens suivants invoqués précisent que le licenciement est autorisé quand les convictions du salarié sont contraires à celle de l'entreprise de conviction. Mais qu'il ne s'agit pas d'une faute du salarié, justifiant un licenciement pour faute grave. En l'espèce, le règlement intérieur de l'association veut une conformité à la conviction de neutralité. La salariée, en désaccord avec l'employeur qui invoquerait une clause illicite, ne pourrait donc être fautive. En effet, l'argument de la demanderesse soulève qu'une différence de traitement fondée sur la religion ou conviction d'une personne n'est pas illicite en elle-même. Mais qu'une clause réduisant la protection des droits de salariés l'est. D'autant plus si elle restreint le droit des personnes ou les libertés individuelles, en ne répondant pas aux besoins de la profession et de manière proportionnée.

A fortiori, la clause litigieuse pose une obligation générale, imprécise et absolue de neutralité et interdisant le port de signes ostentatoires. Disposée comme telle : « le principe de la liberté de conscience et de religion de chacun des membres du personnel ne peut faire obstacle au respect des principes de laïcité et de neutralité qui s'appliquent dans l'exercice de l'ensemble des activités développées, tant dans les locaux de la crèche ou ses annexes qu'en accompagnement extérieur des enfants confiés à la crèche », elle serait donc illicite et disproportionnée.

De plus, la Cour d'appel aurait dénaturé les termes et la portée du règlement intérieur. Elle aurait constaté que l'application de la neutralité voulue par l'employeur était limitée aux activités en contact avec les enfants et excluant les autres, notamment celles destinées à l'insertion sociale et professionnelle des femmes du quartier qui se déroulent hors de la présence des enfants.


En dernier lieu, la demanderesse fait grief à la Cour d'appel de confirmer le licenciement alors que celui-ci évoquerait un motif discriminatoire ou se baserait sur la violation d'une liberté fondamentale. En effet, elle soutient qu'il n'y a pas de faute du salarié qui refuse de se conformer à la décision illicite de l'employeur, qui prononce une mise à pied à titre conservatoire et un licenciement pour faute grave. Ainsi, elle pouvait refuser de retirer son voile islamique et rester sur le lieu de travail, qui n'a pas affecté le fonctionnement de l'association. De plus, la salariée reproche à la Cour d'appel de ne pas avoir recherché si ce refus, exercé en application d'une liberté, était une faute et devait donc être sanctionnée disciplinairement. Elle relève aussi que la Cour d'appel aurait invoqué des faits autres que ceux de la lettre de licenciement en invoquant des « faits d'agressivité à l'égard de ses collègues ». Ces faits ne devraient donc pas pouvoir justifier le licenciement pour faute grave.


Le problème de droit

Le problème posé à la Cour de cassation est donc de savoir : un employeur de droit privé peut-il valablement restreindre la liberté religieuse de ses salariés dans son règlement intérieur ?


La solution de la juridiction

L'Assemblée plénière de la Cour de cassation a rendu un arrêt de rejet le 25 juin 2014. Au visa des articles L1121-1 et 1321-3 du Code du travail, la Cour a posé le principe selon lequel une entreprise privée peut instaurer des « restrictions à la liberté du salarié de manifester ses convictions religieuses si elles sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché ». Elles ne doivent pas être générales et imprécises, notamment quand il est question d'une liberté fondamentale. Ensuite, la Cour a appliqué cette règle à l'espèce en cause.

Elle a relevé que la Cour d'appel a apprécié concrètement la situation de l'employeur comme une association de dimension réduite, de 18 salariés, dans ses conditions de fonctionnement. Ceux-ci étaient en relation directe avec les enfants et les parents. Ainsi, la Cour a appliqué le principe précédemment posé en ce que la restriction de liberté de manifester sa religion telle que définie dans le règlement intérieur n'avait pas de caractère général. Cette disposition était suffisamment précise (objet, lieu, obligation), justifiée par la nature de la tâche à accomplir par les salariés de l'association et proportionnée au but recherché. Soit qu'il est question d'une obligation de neutralité en présence des enfants et des parents.

En second motif, la Cour de cassation constate que l'association n'est pas une entreprise de conviction, car elle n'a pas pour objet de promouvoir ou défendre des convictions religieuses, politiques ou philosophiques. Elle relève que les statuts de l'association visent le développement d'une activité liée à la petite enfance, en dehors de l'implication de toute conviction religieuse.

Finalement, la Cour confirme que le licenciement pour faute grave aux vues de ses précédents motifs était justifié en ce que : la salariée à refuser d'accéder aux demandes de l'employeur de ne pas porter de signe religieux ostentatoire et sur son insubordination répétée. Elle n'a pas respecté l'obligation de neutralité valable, posée par le règlement intérieur.


La portée de l'arrêt

La solution de cette jurisprudence a aujourd'hui été codifiée dans le Code du travail à l'article L1321-2-1 par la loi Travail du 8 août 2016. Il permet, sous certaines conditions, à un employeur d'inscrire une clause de neutralité dans le règlement intérieur d'une entreprise.


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