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CEDH, Kruslin et Huvig contre France, 24 avril 1990

L'arrêt rendu par la Cour européenne des Droits de l'Homme en date du 24 avril 1990 concerne le domaine du droit pénal et des libertés publiques, dans le cadre du droit européen. Il s'agit ici d'une affaire d'abord nationale, puis portée devant cette Cour par le requérant, après épuisement des voies de recours internes se rapportant au litige.

CEDH, Kruslin et Huvig contre France, 24 avril 1990

Credit Photo : Freepik kstudio

En l'espèce, une plainte pour fraude fiscale a été déposée par l'une des personnes en charge de ce contrôle en Haute-Marne, ce qui a donc donné lieu à la poursuite du plaignant par les autorités publiques de l'État. Dans le cadre de ces poursuites, les pouvoirs publics ont procédé à l'enregistrement de conversations téléphoniques de ce suspect, l'inculpant dans une affaire distincte de celle qui avait justifié en premier lieu la mise en place d'un dispositif d'écoute du plaignant. L'arrêt soulève alors diverses questions, qui ont dû être étudiées par la Cour européenne, en re-jugement de l'affaire, suite aux décisions des Cours françaises. L'une des questions primordiales de l'arrêt Kruslin et Huvig contre France est notamment le principe de liberté de la preuve, et l'enjeu de l'intervention publique dans un tel dispositif d'écoute téléphonique d'un suspect. Ces enjeux sont tels, pour le droit interne comme international, que l'arrêt de 1990 est doté d'une portée majeure, particulièrement en droit de la peine et en droit des libertés, et relève également de questions d'ordre public importantes à prendre en compte.

Dans quelle mesure l'arrêt de la CEDH du 24 avril 1990 étudie-t-il un principe essentiel du droit français, jusqu'à remettre en cause les législations applicables, en accord avec la volonté de rendre pleinement effectif le principe de légalité pénale ?

Il convient dans un premier temps d'aborder le principe dont il est question dans l'arrêt, en abordant le rôle des juges quant à la législation interne, ainsi que le sujet de l'ingérence des autorités publiques, avant de s'intéresser au lien établi entre le plan interne et international, par l'influence de l'institution européenne, et la portée de sa décision.

 

I. Le principe de légalité pénale en cause

La légalité pénale est une règle d'ordre public majeure en droit pénal et en droit des libertés publiques, assurée particulièrement par le rôle des juges et par le contrôle de l'intervention étatique dans les litiges

A. L'appréciation des juges

Pour le besoin de la réglementation des litiges, de nombreux moyens peuvent être employés, notamment par les autorités de police, sollicitant des méthodes telles que l'interception de conversations. Il convient alors dans le cadre de certaines de ces méthodes mises en oeuvre de contrôler la conciliation entre les besoins de l'enquête et l'effectivité du respect de la vie privée de la personne. En effet, nombre des mesures de police visent à apporter des éléments de preuve ou autres non négligeables, mais conduisent également à circonscrire les droits et libertés des individus sujets à ces mesures, à une sphère plus limitée. Lors de la mise en place de tels moyens d'enquête, les membres des institutions juridiques ont alors pour rôle de tempérer et de contrôler le respect de la vie privée et des libertés, notamment par des principes orientant leur appréciation des affaires. Par exemple, une preuve apportée par des parties à l'enquête ou par des tiers, peut être prise en compte lors du jugement de l'affaire, mais il faut pour cela que la preuve retenue soit débattue de façon contradictoire, malgré quelques exceptions. De plus, les juges sont tenus d'apprécier la loi et les règles de droit en jeu, non seulement sur leur réalité matérielle, mais aussi par une appréciation qualitative, de la clarté ou encore de la précision de la loi, afin de justifier la légalité d'une mesure entreprise par l'une des parties. D'après la décision rendue par la Cour le 24 avril 1990, en revanche, « le droit français n'indique pas avec assez de clarté l'étendue et les modalités d'exercice » de la mesure en cause, à savoir, l'écoute téléphonique utilisée par les autorités. Si les juges interprétaient alors la loi de façon souple, celle-ci est en revanche trop limitée pour justifier son emploi lors de cette affaire, et l'interception de conversations téléphoniques ne correspond ainsi pas aux délimitations légales qui devraient les encadrer, ce qui pousse la CEDH à relever un manquement de la part de la France.

B. La notion d'ingérence

Au cours de l'affaire Kruslin et Huvig contre France, les requérants ont invoqué une éventuelle ingérence de la part des pouvoirs publics, au sujet des écoutes téléphoniques, au regard de l'article 8 de la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme (CESDH). Selon cet article, les autorités publiques ont la possibilité d'intervenir dans certaines mesures, mais celles-ci sont limitées à la réunion de diverses conditions, qui sont limitativement énoncées en ce même article. En effet, l'ingérence des autorités publiques dans une dimension du droit pénal, dans le cadre d'une affaire ressortissant de leur champ de compétence, peut être légitime selon cet article, mais un contrôle doit alors être opéré pour vérifier qu'il ne s'agit pas d'un abus qui dépasserait ce cadre légitime. La Cour européenne s'attelle alors dans l'affaire en espèce, à déterminer si l'autorité publique a agi, en recueillant des conversations téléphoniques et en les retenant contre le mis en écoute, de façon légitime ou au contraire litigieuse. À la suite de l'affaire Kruslin et Huvig contre France, la Cour européenne a décidé de condamner la France en estimant que l'ingérence invoquée n'était pas légitime, puisque les fondements légaux avancés n'étaient pas suffisants en l'espèce. Par cette décision, la Cour a donc demandé aux juridictions françaises, et en particulier au législateur, de prendre en compte la condamnation pour adapter les législations en place, afin de répondre aux exigences européennes. La France a ainsi adopté une nouvelle loi, le 10 juillet 1991, afin de réglementer le dispositif d'écoute téléphonique, et de l'adapter en conformité avec les exigences de la CEDH en la matière. Désormais, seuls les pouvoirs publics peuvent demander la mise en place d'écoutes et d'interception de conversations, et la loi a également introduit des encadrements en termes de durée, et de conditions. La décision européenne a donc remis au devant de la scène du droit pénal international, le principe de la légalité pénale, ainsi que la notion d'ingérence, afin de les redéfinir et surtout, de mieux encadrer leur application et leur étendue.

Outre le principe de légalité pénale que l'arrêt se tâche d'étudier, et de redéfinir les conditions d'application, cette décision de 1990 présente aussi un grand intérêt sur le plan de l'étude des relations entre droit européen et droit français.

II. Confrontation des droits européen et français

Ces deux plans, l'un national et l'autre international, du droit, se confondent sur plusieurs aspects, mais peuvent également entrer en opposition, le droit européen ayant en principe un pouvoir de contrainte plus large révélant une nouvelle portée de l'arrêt.

A. La condamnation de la France par la CEDH

En l'espèce, l'affaire Kruslin et Huvig Contre France est arrivée jusqu'à la connaissance de l'appareil juridique européen, par la procédure classique, suite à l'épuisement des recours internes, n'ayant pas abouti. Le requérant a alors intenté une action en justice devant la Cour européenne des Droits de l'Homme afin que celle-ci apprécie la légalité et la légitimité de la mesure exercée par les autorités publiques françaises. Dans ce pouvoir d'appréciation et de contrôle, la Cour a donc pu étudier l'affaire sous l'angle du droit européen, mais également en appréciant l'état actuel du droit français, qu'elle a par la suite estimé comme lacunaire, donnant lieu à un ordre de modification. La Cour européenne, à l'occasion de cette décision, a également rappelé l'étendue ainsi que les implications du principe de légalité des délits et des peines. Selon ce dernier, il n'y a pas de jugement si une loi explicite n'existe pas au sujet de l'action commise. Il n'est pas possible de poursuivre une personne sur un fondement qui n'est pas consacré expressément par une loi ou par un texte juridique ayant la même valeur. Or, ici, la Cour européenne relève une absence de loi française, réglementant l'écoute téléphonique par les autorités publiques, ce qui justifie sa condamnation de l'appareil juridique français, afin de l'enjoindre à modifier sa législation pour intégrer cet aspect et rendre la méthode légale. La portée de l'arrêt est également importante puisqu'elle démontre la supériorité des institutions de droit européennes à celles des juridictions françaises, qui servent à contrôler l'application d'un droit toujours plus abouti. L'apport européen au niveau du droit français n'est donc pas négligeable, en ce qu'il cherche à harmoniser les différentes visions sur le plan supranational, en rappelant notamment une exigence de clarté. En outre, la France se doit de respecter les décisions rendues par la CEDH, celle-ci se plaçant au-dessus des juridictions nationales, et a donc pris une loi en conformité avec les exigences rappelées par l'arrêt de 1990.

B. La portée de l'arrêt

Pour étudier la légalité et la légitimité des méthodes employées en l'espèce par les autorités publiques, pour le recueil de conversations téléphoniques, la Cour européenne a rappelé puis appliqué divers articles du droit européen, invoqués pour certains par le plaignant. Par exemple, l'un des articles fortement sollicités à l'occasion de cette affaire est l'alinéa 1 de l'article 8, contenu dans la Convention européenne des Droits de l'Homme. Cet article a été avancé par le requérant en ce qu'il intègre les principales règles encadrant le droit à la vie privée et sa protection par les autorités politiques et judiciaires. Il convient alors pour la Cour d'apprécier la conciliation entre libertés publiques et nécessités procédurales pour mener l'enquête sans contrevenir aux droits du prévenu. Par ailleurs, la Cour européenne admet un principe nouveau en élargissant le socle légal de référence, utilisé lors du règlement des différends, en y intégrant alors par cet arrêt, la jurisprudence, constituant les sources non écrites. Afin de contourner l'absence de loi, les décisions rendues antérieurement pourraient alors être invoquées afin d'apprécier la légalité d'un acte ou d'une décision d'espèce selon cet arrêt de 1990. Suite à l'arrêt Kruslin et Huvig contre France, la jurisprudence sera désormais appliquée strictement, quasiment au même rang que la loi, afin de régler les litiges portés à la connaissance des Cours. Suite à cette étude des fondements législatifs et normatifs européens, la Cour européenne décide finalement de condamner la France pour non-respect de l'article 8 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, car aucun texte n'est effectif pour asseoir les écoutes téléphoniques, malgré l'existence de quelques jurisprudences parcellaires.

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