Propos introductifs

Ce que certains commentateurs considèrent comme la partialité du monde de la justice a été fortement accentué par la médiatique et récente condamnation dont a fait l’objet Marine Le Pen et dont nous avons pu discuter en détail dans d’autres articles. 

Sous ce rapport, c’est à l’occasion d’une émission diffusée au début du mois d’avril sur France 2 que l’actuel Ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, a déclaré publiquement que l’indépendance des juges trouve sa contrepartie dans « leur neutralité ». Le ministre a déclaré ainsi dans la continuité des réactions qu’a suscité cette condamnation (pour rappel, Marine Le Pen fut notamment condamnée à 4 ans de prison ferme ainsi qu’à 5 ans d’inéligibilité. 

La déclaration du ministre de l’intérieur n’est cependant pas passé inaperçue en ce qu’elle questionne d’un point de vue juridique. Au-delà même du fait que cette déclaration questionne, elle est fausse juridiquement. En effet la neutralité des juges ne revêt pas la nature d’une quelconque contrepartie de leur indépendance : au contraire il ne s’agit pas d’une contrepartie attendue dans la mesure où celle-ci constitue en réalité le résultat direct de cette indépendance. 

 

L’indépendance de l’autorité judiciaire ou le fondement de tout État de droit 

Il est important tout d’abord de noter que la bonne administration de la justice revêt la nature juridique d’un objectif de valeur constitutionnelle qui découle des dispositions des articles 12,15 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) de 1789. Tout particulièrement, l’indépendance des juges, qui résulte du principe de séparation des pouvoirs issu de l’article 16 de la DDHC, constitue une des principales garanties bénéficiant à la justice judiciaire. 

De manière à ce qu’un procès soit effectivement équitable, il est nécessaire que la justice soit en mesure d’exercer sa mission sans intervention extérieure qui l’influencerait. Il s’agit ici d’un principe directement inscrit au sein du texte constitutionnel suprême en son article 64. Ce dernier dispose notamment que le Chef de l’Etat est le « garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire ». Le Conseil constitutionnel a également pu en expliciter ce principe en le considérant finalement comme « indissociable de l’exercice de fonctions judiciaires ». Cette indépendance implique en outre que le législateur ou le gouvernement ne peuvent valablement censurer les décisions de justice prises et ne peuvent non plus leur adresser de quelconque injonctions (cf. par exemple, Cons. const., 19/02/1998, ou Cons. const., 22/07/1989). 

Cette même exigence s’illustre au niveau européen. L’on peut ici citer les dispositions contenues au sein de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme qui précise que tout individu dispose du droit à ce que « sa cause soit entendue équitablement (…) par un tribunal indépendant et impartial ». Ces dispositions et plus spécifiquement l’indépendance dont bénéficient les juges leur octroie alors la faculté de statuer en dehors de toute pression extérieure et ainsi en toute impartialité. 

Pour plus de précisions, il nous faut retenir que dernière résulte par conséquent de la séparation des pouvoirs et plus exactement de l’article 16 DDHC. L’exécution de ce principe permet en vérité d’assurer un équilibre entre les différents pouvoirs en présence, c’est-à-dire un équilibre entre le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et enfin le pouvoir judiciaire. Au-delà d’assurer un tel équilibre il doit surtout permettre qu’un pouvoir en particulier n’outrepasse les compétences qui sont les siennes au détriment des compétences des autres pouvoirs. 

Dans le dessein principal de contrer toute possibilité de dérive autoritaire, il est primordial que la justice soit pleinement indépendante des autres pouvoirs et donc du gouvernement mais aussi du Parlement. Si cette séparation n’était pas respectée, garantie et appliquée, des membres du gouvernement pourraient être tentés d’influencer des décisions de justice qui seraient prises compte tenus d’intérêts strictement privés, et politiques. 

De ces différentes constatations l’on comprend donc que l’indépendance des juges, l’indépendance de la justice est primordiale, nécessaire afin que la justice soit équitable à l’égard de tous les justiciables et ce, dans tout État de droit. 

 

La neutralité des juges ne constitue pas une condition de leur indépendance

C’est précisément parce que les juges sont indépendants que ces derniers sont neutres lorsqu’ils rendent une décision de justice. Les déclarations du ministre de l’intérieur sont fausses d’un point de vue juridique. En effet pour lui cette neutralité est constitutive d’une contrepartie de leur indépendance. Toutefois cette façon de voir les choses ne convient pas en ce que cela revient à dire que les juges sont neutres car ils sont les bénéficiaires, en contrepartie, d’une indépendance institutionnelle. 

Notons in fine que l’indépendance des juges, et donc la neutralité des juges, trouve son fondement juridique dans la loi organique du 22 décembre 1958 et plus exactement les dispositions de son article 10. Cette loi précise les obligations que doivent respecter les magistrats notamment des interdictions (participation à des délibérations de nature politique ou encore l’impossibilité d’exprimer des opinions partisanes en public). Il leur est néanmoins possible d’adhérer au syndicat de leur choix et ce, dans le respect de leur devoir de réserve, à l’image de tout autre fonctionnaire. 

En bref l’on doit retenir que c’est bel et bien l’indépendance des juges qui permet leur neutralité, et non pas leur neutralité qui rend possible leur indépendance. 

 

Références

https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527555

https://www.echr.coe.int/documents/d/echr/convention_FRA

https://www.legifrance.gouv.fr/contenu/menu/droit-national-en-vigueur/constitution/declaration-des-droits-de-l-homme-et-du-citoyen-de-1789

https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000048434623