Propos introductifs et faits de l’espèce

Dans sa décision rendue en date du 1er avril 2025 (cf. CE, 01/04/2025, n-494511, n-494583 et n-495174, Ligue des droits de l’homme, La Quadrature du net, M. C., et autres), la Haute juridiction a jugé que la décision qu’avait pris le Premier ministre, en mai 2024, méconnaissait les conditions devant être remplies dans le cadre de la théorie des circonstances exceptionnelles. Toutefois celui-ci a précisé son propos en considérant que l’autorité compétente est en mesure de recourir à cette théorie des circonstances exceptionnelles en dépit du fait que l’état d’urgence fut déclaré. 


Dans cette décision, le Conseil d’Etat a eu à connaître d’une décision de blocage de l’application TikTok en Nouvelle-Calédonie. Plus exactement il était question de l’interruption de l’accès à ce réseau social, interruption décidée par le Premier ministre le 14 mai 2024. Pourquoi celui-ci avait-il décidé ainsi ? Cette décision s’inscrit dans un contexte particulier sur ce territoire dans la mesure où résultant de troubles à l’ordre public du fait d’affrontements violents. Cette décision avait pour base juridique la théorie des circonstances exceptionnelles qui, pour rappel, revêtent une nature somme toute particulière en ce qu’il s’agit d’un régime d’exception par rapport au droit commun. La mesure en cause était en vigueur jusqu’au 29 mai de la même année. 


Il nous faut également retenir que l’état d’urgence qui revêt lui aussi la nature d’un régime juridique exceptionnel avait été décrété le 15 mai 2024. Celui-ci était, pour sa part, en vigueur jusqu’au 28 mai 2024. 

Mécontents de l’action du Premier ministre visant à interrompre l’accès au réseau social TikTok, deux associations, mais également des particuliers ont par conséquent décidé de saisir le Conseil d’Etat. 

Par cette décision rendue le 1er avril 2025 qui est (malheureusement) presque passée inaperçue car rendue le même jour que la décision de justice visant Marine Le Pen et à l’occasion de laquelle celle-ci a été condamnée à 5 ans d’inéligibilité, le Conseil d’Etat est intervenu à l’effet de préciser les conditions devant être respectées par l’autorité administrative compétente afin de valablement prendre la décision d’interruption (même) provisoire de l’accès à un réseau social quel qu’il soit. 

La combinaison possible entre l’état d’urgence et la théorie des circonstances exceptionnelles 

Dans notre cas d’espèce ici jugé et rapporté par le Conseil d’Etat en date du 1er avril 2025, il était question de la possibilité ou pas attribué au Chef du gouvernement de pouvoir valablement avoir recours à la fois à la théorie des circonstances exceptionnelles tandis qu’un état d’urgence avait été décidé. Cette hypothèse est intéressante dans la mesure même où le fondement juridique, les conditions de mise en œuvre et les mesures qui peuvent en effet être prises. Dans le cadre de ces deux régimes juridique sont différentes. Ainsi, dans le cadre de la théorie des circonstances exceptionnelles, il convient de noter que celle-ci est dorigine prétorienne. Cela signifie, en dautres termes, elle ne dispose pas dun fondement légal. Cette théorie permet à une autorité administrative, dans lurgence, dacter certaines mesures qui sont en vérité considérés comme étant indispensables compte tenu des circonstances, et ce à leffet d’assurer la continuité des services publics. Les circonstances en question doivent revêtir certaines caractéristiques : en effet, elles doivent être dune gravité certaine, anormales mais également imprévisibles. Il est important de noter que les mesures que lautorité administrative peut prendre dans ce cadre ne sont pas prédéterminées. En ce sens, il revient donc au juge administratif d’en contrôler la proportionnalité au regard de la situation concernée. 

Quen est-il de la déclaration de l’état durgence ? Ici, contrairement à la théorie des circonstances exceptionnelles, l’état durgence dispose dune base juridique législative. C’est en effet, la loi du 3 avril 1955 qui autorise lautorité administrative à détenir de façon strictement temporaire des pouvoirs spéciaux, dans des circonstances tout à fait particulières. Il sagira ainsi, par exemple, entre autres, d’un « péril imminent résultant datteintes graves à l’ordre public ». Ici, les mesures qui peuvent être prises par cette autorité sont détaillées par la loi. Celles-ci peuvent faire lobjet dun contrôle par le juge administratif.


Il convient de noter que le juge administratif suprême retient que le fait que l’état d’urgence ait été en effet déclaré ne fait aucunement obstacle à ce que l’autorité administrative décide de prendre des mesures dans le cadre de la théorie des circonstances exceptionnelles pour le cas où il n’existe pas de mesure pouvant être prise dans le cadre d’un régime d’exception légal afin de répondre à la situation en cause. 

Ainsi, en l’espèce, il était possible au  Premier ministre de décider de la sorte et ainsi de prendre une décision sur le fondement de la théorie des circonstances exceptionnelles afin de répondre aux troubles portés à l’encontre de l’ordre public, peu importe par ailleurs que l’état d’urgence ait été également, et de façon concomitante, de déclaré sur le même territoire. 

 

Quelles sont les conditions qui doivent être respectées à l’effet d’interrompre valablement l’accès à un réseau social ?

Ces constatations étant effectuées, le Conseil d’Etat avait à répondre à la question de savoir si la décision prise par le Premier ministre d’interrompre cet accès au réseau social TikTok était en effet justifiée au regard de la théorie des circonstances exceptionnelles. Ici, les juges ont rappelle que, par principe, il est interdit d’interrompre un tel accès à un service de communication lorsqu’une loi ne le prévoit pas. Or dans le cadre de la théorie des circonstances exceptionnelles, cette interruption est envisagée et envisageable si et seulement si elle remplit certaines conditions. 

En ce sens il est précisé par le Conseil d’Etat que l’interruption d’accès est nécessairement indispensable afin de parer aux nécessités de temps et de lieu ; qu’il n’existe pas d’autres mesures qui soient moins attentatoires aux droits et aux libertés protégés afin de faire face à la situation ; finalement, cette interdiction doit revêtir un caractère provisoire. 

Dans notre cas d’espèce, il fut retenu par les juges que la décision en cause ne remplissait pas les conditions susmentionnées. C’est en ce sens qu’il fut décidé sue l’interruption en question a revêtu la nature d’une « atteinte disproportionnée à la liberté d’expression, à la liberté de communication des idées et opinions, et à la liberté d’accès à l’information ». 

Références

https://www.conseil-etat.fr/actualites/en-cas-de-circonstances-exceptionnelles-le-gouvernement-peut-interrompre-provisoirement-l-acces-a-un-reseau-social-mais-sous-conditions

https://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2025-04-01/494511

https://actu.dalloz-etudiant.fr/le-billet/article/le-blocage-de-tik-tok-retoque/h/f647cf4933f9e8e4a379fa89ed1a389a.html