Droit interne et droit européen sur le droit de la famille : une révolution en cours ?

Il est intéressant de noter que révolution semble en cours concernant la famille. Toutefois, l’Etat représente en le gardien car il s’agit d’un sujet éminemment politique. Pour s’en convaincre, l’on pourrait citer le fait que l’état civil est dit indisponible. Il revient en fin de compte à l’Etat d’articuler les libertés individuelles et l’ordre public. 

Néanmoins depuis quelques années maintenant force est de constater que le système jusqu’alors en cours semble s’effriter, subir une petite révolution dans la mesure où les individus semblent vouloir que l’Etat reconnaisse leur choix sans opérer d’arbitrage, et que les règles sociales par principe applicables doivent s’y conformer. Ici, il est des personnes qui ont choisi un État leur permettant d’accéder à leur choix personnel, individuel et familial et reviennent ensuite dans leur État d’origine en attendant et commandant à celui-ci de ne pas appliquer les règles en matière de droit de la famille le concernant car elles seraient inopérantes à son égard. Il s’agit d’une altération, d’une certaine forme de renversement des sources du droit mais surtout de sa définition, et du rapport qu’entretiennent les individus et l’Etat lui-même. 

De surcroît, il faut noter que tout est chacun est libre de séjourner dans un autre État, lorsque le droit interne de celui-ci ne lui convient pas, d’y acquérir un statut, et finalement revenir dans son État d’origine avec ce nouveau statut prohibé par celui-ci. C’est ce qui se déroule au sein de l’Union européenne : le juge européen a la lourde mission d’harmoniser, au gré des cas d’espèce qu’il doit connaître, le droit civil pour que les citoyens européens disposent d’une continuité de statut au sein des États membres. Néanmoins, il est nécessaire de noter ici que surgit la notion de souveraineté de ces Etats, d’autant que le domaine du droit de la famille ne constitue pas une compétence revenant à l’Union européenne. Notons aussi qu’au sens de l’article 67, §1er, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, bien que l’Union européenne est « un espace de liberté, de sécurité et de justice (…) dans le respect des différents systèmes et traditions juridiques » des Etats qui la constitue.

 

La citoyenneté européenne, une citoyenneté hiérarchiquement supérieure ?

Cette question doit se poser au vu d’une récente décision rendue par la Cour de justice de l’Union européenne, concernant le changement de sexe, et rendue le 4 octobre 2024 (Mirin, aff. C-4/23). A cette occasion, les juges avaient retenu qu’il n’est pas possible pour un Etat membre de s’opposer à la transcription d’un droit effectivement acquis par un individu dans un autre Etat du fait de cette citoyenneté européenne. Pourtant, la citoyenneté européenne ne constitue-t-elle pas un appendice de la citoyenneté étatique, d’autant plus que cette citoyenneté étatique est bien plus complète et perfectionnée ?

Deux lectures de cette décision peuvent être faites : la première consisterait à dire qu’un droit acquis par un individu dans un Etat devrait obligatoirement être reconnu dans un autre Etat si ce n’est tous les Etats membres ; la seconde semble plus justifiée au regard du contenu de la décision en ce qu’il s’agit principalement de ne pas reconnaitre l’ensemble des conséquences qui découlent d’un changement de sexe mais simplement dirait-on d’une reconnaissance plus circonscrite, à l’égard des éléments d’identification de l’individu (concernant donc ses papiers d’identité, ou les inscriptions sur le registre d’état civil). 

Une autre affaire actuellement en cours d’examen près la Cour de justice de l’Union européenne intéresse la reconnaissance d’un mariage homosexuel légalement conclu au sein d’un Etat membre. Dans cette affaire, l’avocat général a retenu qu’il n’est pas possible qu’un Etat s’oppose à cette reconnaissance lorsque celui-ci est légalement conclu, retenant l’articulation entre d’une part la liberté de circulation, d’autre part le droit au respect de la vie privée ; ainsi, le fait que sa réglementation ne le prévoit pas en effet est un argument inopérant. Il est notamment reproché à la Pologne de ne pas disposer de règles concernant le statut civil des individus de même sexe et qui vivent en couple. Le fait de s’interroger sur la transcription d’un mariage, interdit par la loi polonaise, reviendrait-il à concevoir l’existence systématique d’un droit acquis dans un État membre, sous couvert de la libre circulation attribuée à tout individu à l’intérieur de l’Union européenne ? 

Ceci pose une question subséquente : quid de l’égalité de la loi des ressortissants polonais en l’espèce ? Cette question n’est pas dénuée de sens dans la mesure où une inégalité prend vie lorsqu’un individu est en mesure de voyager pour obtenir d’un autre État ce que la loi interne ne permet et celles et ceux ne pouvant le faire, peu importe les raisons. Les uns disposent donc d’un statut privilégié, les autres pas. Les uns disposeraient donc de droits complémentaires, les autres pas. De même, n’existerait-il pas un certain déséquilibre des pouvoirs au sein de l’Union européenne ?  

En décidant ainsi, le juge européen ne deviendrait-il donc pas un législateur en accordant des droits à des citoyens alors que la loi interne de leur État d’origine en prévoit en autrement ? 


Juge européen et souveraineté nationale en opposition ? 

S’il est tenant de critiquer le juge européen, qu’il s’agisse de la Cour européenne des droits de l’homme ou de la Cour de justice de l’Union européenne, il ne faut pas omettre le fait que le juge agit dans le but de défendre l’état de droit. Il ne recherche pas à s’opposer catégoriquement à la souveraineté nationale. Il est à noter que celui-ci ne doit pas inciter des individus à « acheter » des droits, des législations qui les concernent, les favorisent et leur conviennent personnellement, pour les importer par la suite dans leur Etat membre…


Références

https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/qu-est-ce-que-la-citoyennete-de-l-union-europeenne/

https://www.europarl.europa.eu/factsheets/fr/sheet/145/les-citoyens-de-l-union-et-leurs-droits

https://www.leclubdesjuristes.com/justice/affaire-mirin-avis-de-tempete-en-droit-des-personnes-7659/