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Pénuries de carburants, droit de grève et réquisitions : des termes antagonistes d'un point de vue juridique ?

La mesure est mal passée chez nombre de salariés des raffineries concernées : le Gouvernement d'Élisabeth Borne a décidé de réquisitionner du personnel de ces industries afin que les stations-service françaises soient de nouveau livrées en carburants. Nous allons nous intéresser à la question de savoir si ces réquisitions sont bien valables sur le plan juridique. Remettent-elles réellement en cause le droit de grève comme annoncé par de nombreux syndicalistes ? Décryptage.

Pénuries de carburants, droit de grève et réquisitions : des termes antagonistes d'un point de vue juridique ?

Credit Photo : Pixabay

 

Un droit de grève bafoué par les réquisitions ordonnées par le Gouvernement ?

S'exprimant devant les députés, la Première ministre, Élisabeth Borne, a déclaré dans le courant de la semaine dernière qu'elle avait demandé « aux préfets d'engager, comme le permet la loi, la procédure de réquisition des personnels indispensables au fonctionnement des dépôts [concernés]. »

Face à cette déclaration jugée inappropriée par la CGT d'Esso-ExxonMobil, première raffinerie concernée par la mesure gouvernementale, la réquisition du personnel constitue une atteinte « au droit de grève [pourtant] un droit constitutionnel des travailleurs en lutte. »

La question qui se pose alors à nous est la suivante : dans quelles mesures est-il possible pour l'État de demander la réquisition des salariés ?

Les règles juridiques en matière de réquisitions des personnels du privé

Deux textes majeurs nous intéressent pour comprendre les règles inhérentes à ce type de réquisitions. Tout d'abord, il nous faut nous reporter aux dispositions contenues au sein de l'article L.1111-2 du Code de la défense : celles-ci prévoient en effet qu'il est possible pour le Gouvernement de prendre un décret afin de mobiliser le personnel pour trois cas particuliers et limitatifs ; il faut l'existence d'une « menace [qui porte] sur une partie du territoire, sur un secteur de la vie nationale ou sur une fraction de la population. » Toutefois, force est de constater à la lecture de ces dispositions que le Gouvernement ne pouvait pas valablement se fonder sur cet article, tant les conditions pour y recourir et ne pas risquer de voir la décision prise finalement annulée sont exhaustives.

Seul et dernier recours valable pour Élisabeth Borne : se reporter aux dispositions de l'article L.2215-1 du Code général des collectivités territoriales. En demandant précisément aux préfets de procéder à l'enclenchement de cette procédure spécifique, ces derniers ont pu prendre des arrêtés qui ont eu pour finalité de « requérir toute personne nécessaire » du fait d'une « atteinte constatée ou prévisible au bon ordre » qui exigeait cette mesure.

Finalement, que risquent les salariés qui refuseraient de respecter cette mesure ? Dès lors que la réquisition est demandée, et qu'elle a été jugée valable sur le plan strictement juridique, alors tout personnel qui refuserait de la respecter peut encourir jusqu'à 10 000€ d'amende et une peine de prison pouvant aller jusqu'à six mois.

Il apparaît maintenant intéressant de revenir sur cette même problématique qui avait été posée en 2010. De quoi s'agit-il ? On le sait, la Constitution, et plus spécifiquement, son préambule s'intéresse au droit de grève et le proclame d'un point de vue constitutionnel. Alors, la réquisition de salariés du privé constitue-t-elle une atteinte au droit de grève ?

Pour répondre à cette question, il apparaît utile de revenir sur le précédent de 2010. À l'époque, l'ensemble des raffineries françaises étaient à l'arrêt, les salariés protestant contre la réforme des retraites sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Des réquisitions ont eu lieu et elles se sont fondées sur les dispositions de l'article L.2215-1 susmentionné.

Ce mouvement social majeur avait été l'occasion rêvée pour les juridictions administratives nationales de préciser le contenu de ces dispositions. Ainsi, un juge administratif avait décidé qu'un arrêté préfectoral de réquisition n'était pas valable, et l'avait annulé. Pour justifier sa décision, le juge avait considéré que la quasi-totalité du personnel concerné avait été réquisitionnée, ce qui portait une atteinte grave et manifestement illégale au droit de grève. Cette réquisition avait en fait pour but d'instaurer non pas un service minimal, mais bien « un service normal ».

Ce n'était que le début du combat pour les salariés concernés par ces réquisitions. Le Conseil d'Etat a lui aussi été amené à se prononcer sur la question. Il a profité de cette saisine pour préciser que la réquisition, pour être valablement prise et appliquée, doit viser les seules équipes jugées « nécessaires » pour que l'activité en cause soit remise en marche ce qui permet, in fine, de maintenir l'ordre public. À la vérité, le juge administratif suprême précise dans sa décision que le juge administratif, doit, dès lors qu'il est saisi d'une telle question relative à une ou des réquisitions, se pencher sur différents facteurs insérés dans l'arrêté préfectoral, ces facteurs intéressant notamment les motifs inhérents à la réquisition, mais aussi la durée maximale de cette dernière, ou encore le nombre exact des effectifs requis. L'atteinte devant finalement être portée contre l'ordre public doit elle aussi être justifiée.

Nous pouvons par voie de conséquence conclure que ces réquisitions ne constituent pas en elles-mêmes des atteintes portées à l'encontre du droit de grève, droit expressément reconnu et proclamé par le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958. Ce droit, bien qu'il soit constitutionnellement reconnu et garanti pour les salariés, peut toutefois connaître certaines limitations. Néanmoins et comme nous l'avons vu, ces limitations doivent être strictement encadrées et leur nombre apparaît limité : c'est ce qu'a bien sûr prévu la loi, mais c'est aussi ce dont s'assure le juge administratif lorsqu'il est amené à se prononcer sur un arrêté préfectoral de réquisition s'il est saisi. Le seul bémol pourrait peut-être résider dans l'intervention quasi systématique du pouvoir politique dans des luttes qui intéressent un employeur et ses salariés. Il semble cependant que la situation devrait revenir à la normale dans les prochaines semaines. Affaire à suivre, donc !

Sources : Vie publique, Le Monde, Jurisconsulte, Village Justice

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