Propos introductifs sur l'IA et l'emploi
Il est important de débuter notre développement par mentionner le fait que même si l’IA n’est pas (encore) les salariés, son utilisation de plus en plus accrue nous pousse à nous poser cette question : va-t-elle les remplacer dans un futur plus ou moins proche ?
Cette question n’est en rien dénuée de sens dans la mesure où nombre d’employeurs pourraient être tentés de les remplacer par certains logiciels de plus en plus perfectionnés et qui, dans la pratique, sont relativement peu coûteux comparativement à la main d’œuvre qu’ils emploient en effet. Ceci doit aussi se comprendre à l’aune de la concurrence qui règne entre les entreprises, et qui pourraient pousser certains à passer l’IA pour rester compétitifs face à des concurrents qui auraient passer le cap.
Droit du travail et Intelligence Artificielle
Toutefois il ne faut pas oublier que le droit du travail continue de s’appliquer. Que prévoit le droit ? Permet-il un tel remplacement et dans quelles mesures ? Un employeur pourrait-il valablement invoquer la nécessité de recourir à des licenciements économiques alors que les articles L. 1233-1 et suivants du Code du travail lui imposent l’obligation d’apporter la preuve d’un motif économique incontestable et véridique. Ce motif pourrait-il résider dans l’essor de l’IA et de l’utilisation de plus en plus importante des logiciels qui en découlent ?
La mutation technologique et le licenciement pour motif économique
L’utilisation des technologies et leur essor par un employeur constitue une cause de licenciement économique alors même que l’entreprise n’est pas en difficulté financière. Certaines décisions ont pu retenir que l’informatisation revêt la nature particulière d’une mutation technologique qui motive la mise en route d’une procédure de licenciements pour motif économique (cf. par exemples, Cass. soc., 30/06/1992, n-91-40.823 ; Cass. soc., 29/05/2002, n-99-45.897 ou encore Cass. soc., 15/03/2012, n-10-25.996). À l’occasion d’une autre décision, les juges de la Cour de cassation ont pu retenir qu’un nouveau logiciel mis en place et qui a eu pour effet d’« [entraîner] la suppression de la majeure partie des tâches » qui étaient effectuées par une salariée revêtait la nature d’une mutation technologique pouvant motiver un licenciement de nature économique (cf. Cass. soc., 17/05/2006, n-04-43.022).
La nécessité de rester compétitif pour l’employeur face à l'Intelligence Artificielle : peut-il invoquer ce motif ?
Il est aussi possible que l’employeur invoque la nécessaire compétitive qu’il doit conserver face à ses concurrents afin que soit justifié le recours à des licenciements pour motif économique. La Chambre sociale de la Cour de cassation avait eu à connaître d’un tel argument à l’occasion d’une décision rendue le 11 janvier 2006 (cf. Cass. soc., 11/01/2006, n-04-46.201 et n-05-40.977). Il s’agissait de la réorganisation de la société Les Pages Jaunes concernant la transition entre internet et ses produits dits traditionnels (format papier mais aussi minitel).
Il est à noter qu’il est possible pour un employeur de recourir à la mise en œuvre de licenciements pour motif économique, même lorsque des difficultés de cette nature ne sont pas effectivement reconnues, dès lors qu’il apporte la preuve que le fait de ne pas recourir à une réorganisation de l’entreprise serait en vérité néfaste concernant la compétitivité de son entreprise.
Ceci étant dit, il apparaît maintenant nécessaire de noter que, concernant l’émergence de l’IA, un tel spectre pour la compétitivité peut constituer une réelle crainte pour l’employeur d’autant que le nombre de domaines qui auront recours à l’intelligence artificielle devrait augmenter. Ainsi il semble que les politiques en matière de prix des entreprises concernées en pâtiront nécessairement. Il est fort à parier, compte tenu de ce qui précède, que l’employeur qui se voit confronté à l’augmentation de l’usage de l’intelligence artificielle justifiera le recours à ce type de licenciement. Restera pour ce dernier à en motiver utilement le recours.
Qu’en est-il cependant des obligations de l’employeur ?
S’il est vrai que le licenciement pour motif économique est fondé sur son motif, c’est-à-dire des difficultés d’ordre économique rencontrées par l’entreprise ou encore une insécurité pesant sur la nécessaire sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise, il n’en demeure pas moins qu’il revient à l’employeur de tout faire afin de reclasser un ou plusieurs salariés préalablement à l’actionnement de cette procédure de licenciement. L’employeur se doit aussi de remplir l’obligation qui est la sienne d’adaptation des salariés à leur poste. Ceci emporte pour conséquence qu’il revient à l’employeur de former l’ensemble des salariés concernés pour qu’ils s’adaptent aux emplois qui viennent d’être créés conformément à ce qu’a décidé la Cour de cassation dans son arrêt rendu en date du 28 mai 2008 (cf. n-06-45.572).
Concernant l’essor de l’intelligence artificielle, l’employeur sera amené à accompagner ses salariés dans leur formation dans le cadre de leurs activités professionnels. En outre, les services d’intelligence artificielle n’ont pas uniquement pour but de remplacer les salariés mais ont aussi pour objectif de les accompagner dans une meilleure productivité : ici, l’employeur doit les accompagner dans cette formation. Cet accompagnement permet donc aux salariés d’être formés et permet à l’employeur de ne pas avoir un recours « forcé » au licenciement.
Conclusion
Pour clore notre développement, il est certainement nécessaire de rappeler que les législateurs, nationaux et européens, ont pris à bras le corps cette question de l’essor de l’IA, par exemple par l’adoption du EU Artificial Intelligence Act de 2024. Toutefois il apparaît nécessaire que les pouvoirs publics qui en ont la compétence érigent des règles à fin de contrer toute volonté de la part des employeurs de recourir trop facilement (et/ou en masse) au licenciement pour motif économique du fait de l’augmentation de l’utilisation de l’intelligence artificielle.
Ici, in fine, le rôle du juge sera accru en ce sens où il devra procéder à la vérification de nombre d’arguments qui seront avancés par les employeurs : qu’il s’agisse aussi bien des nécessités de rester compétitifs, des mutations technologiques ou encore des obligations effectivement remplies, respectées par les employeurs…
Références
https://travail-emploi.gouv.fr/la-definition-du-licenciement-pour-motif-economique#:~:text=l'article%20L.-,1233%2D3%20du%20Code%20du%20travail.,rapportant%20à%20un%20même%20marché.
https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007158032
https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007051334/
https://www.capital.fr/votre-carriere/lia-va-t-elle-prendre-votre-job-voici-les-metiers-les-plus-menaces-1509539