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Appel à boycotter des produits israéliens et liberté d'expression

Le 17 octobre 2023, la Chambre criminelle de la Cour de cassation est intervenue pour la toute première fois à l'effet de rattacher la liberté d'expression au boycott de produits israéliens. Pourquoi a-t-elle décidé ainsi ? Décryptage.

Appel à boycotter des produits israéliens et liberté d'expression

Image par master1305 sur Freepik

Un appel au boycott de produits en provenance d’Israël

Depuis maintenant une dizaine d’années existe une campagne qui génère des actions de militants propalestiniens, Boycott Désinvestissement Sanctions. Ces actions appellent à ne pas consommer de produits en provenance d’Israël et ce, dans l’objectif de manifester contre l’occupation des territoires palestiniens mais également les atteintes portées à l’encontre des droits de l’homme au sein de ces territoires. Il est intéressant de noter que plusieurs manifestants ont été condamnés à la suite de ces actions, et, la Chambre criminelle de la Cour de cassation avait, les concernant, décidé de valider les sanctions prononcées. Ils arguaient que ces différents appels à boycott ne pouvaient valablement relever de la liberté d’expression. En ce sens, furent condamnés des militants pour « provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers un groupe de personne à raison de leur origine » conformément aux dispositions de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 (cf. par exemple, Cass. crim., 20/10/2025, n°14-80.020), leurs actions visant à discriminer les produits en provenance d’Israël. Pour les juges de la Cour de cassation, il s’agissait de faits discriminatoires, fondant ainsi la validation des sanctions dont certains militants avaient fait l’objet.

La condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme

Dans une décision rendue par la CEDH, le 11 juin 2020, il fut décidé que la France avait violé les dispositions de l’article 10 CEDH qui fonde la liberté d’expression (cf. Baldassi et autres c/ France, n° 15271/16 et autres). D’abord, les juges ont rejeté une quelconque violation de l’article 7 CEDH qui fonde le principe de légalité des délits et des peines, considérant notamment qu’il était prévisible pour les requérants d’être condamnés sur le fondement de la loi de 1881, pour de telles actions, une décision confirmée par la CEDH ayant déjà été rendue à ce sujet (cf. CEDH, 16/07/2009, Willem c/ France, n° 10883/05).
Ce qui est surtout important ici réside dans le « but légitime » ainsi que le caractère « nécessaire dans une société démocratique » inhérent à l’article 10 CEDH. Les juges ont considéré que bien que la protection des droits d’autrui (et donc les droits des producteurs de produits en provenance d’Israël) revêt la nature d’un but légitime, il n’en reste pas moins que les juges français ne sont pas parvenus à établir, compte tenu des faits du cas d’espèce, que « la condamnation des requérants en raison de [cet] appel au boycott » était bel et bien « nécessaire dans une société démocratique » afin que soit atteint le « but légitime » poursuivi et partant, la protection desdits droits. De fait, il y a eu violation desdites dispositions de l’article 10.

Qu’a décidé la Cour de cassation ?

Forte de cette condamnation, la Cour de cassation profita du cas d’espèce pour se conformer au droit européen en délaissant le droit national. Ainsi cette décision est importante sur le plan juridique en ce qu’elle permet enfin le rattachement de la liberté d’expression au boycott de produits israéliens. Le pourvoi qui avait été formé à l’encontre d’une décision de relaxe d’une directrice de publication fut donc rejeté. Cette dernière avait relayé une action militante provenant d’un groupe propalestinien appelant au boycott de certains produits israéliens sur son site internet.

Dans sa décision, la Cour de cassation n’a pas démenti le fait que les propos en cause visaient expressément les produits en provenance d’Israël mais a considéré que le fait de poursuivre de tels propos devra s’analyser comme étant constitutif d’une ingérence dans l’exercice de la liberté d’expression au sens de l’article 10 CEDH. Elle rappelle que la CEDH a considéré qu’appeler au boycott revêt une nature particulière, à savoir qu’il s’agit bien d’une modalité distincte d’exercice de la liberté d’expression qui commande un traitement différencié, et que celui-ci doit être apprécié compte tenu des circonstances de l’espèce. Dit autrement, il s’agira de savoir si cet appel traduit l’exercice légitime de ce droit ou bien si celui-ci revêt la nature d’un appel répréhensible sur le plan pénal (appel à la discrimination, à la haine, à la violence).

La Cour de cassation retient également que les juges de la CEDH n’ont aucunement remis en considération l’interprétation faite par les juges français des dispositions de la loi du 29 juillet 1881 ; que la société ciblée par l’appel au boycott n’en a eu connaissance que dans les jours suivants la réalisation de celui-ci ce qui laisse supposer qu’elle n’en a pas été gênée outre mesure ; qu’aucune menace, dégradation ou violence n’a été commise ; qu’aucun propos raciste ou bien antisémite n’a été exprimé ; que le choix final d’un produit revient au consommateur qui demeure libre d’acheter l’un ou l’autre et que partant, le choix effectué ne saurait être qualifié comme étant discriminatoire. La Cour de cassation nous énonce donc qu’en l’absence de toute discrimination, il ne saurait valablement être retenue une quelconque provocation à la discrimination. Ces constatations étant réalisées par les juges de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, ceux-ci ont pu retenir que cette directrice de publication n’avait en vérité pas dépassé les limites inhérentes à son droit à la liberté d’expression en relayant une telle action. Même s’il est vrai que cette dernière appelait bien les consommateurs à exercer une différence de traitement à l’égard des produits proposés et vendus par la société israélienne, il n’en reste pas moins que celle-ci ne s’est pas rendu responsable de provocation à la discrimination.

Dans notre cas d’espèce, la Chambre criminelle n’avait pas d’autre choix que de se conformer aux conclusions des juges de la Cour européenne des droits de l’homme.

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